Kotor, un fjord pas comme les autres

Une arrivée au sommet

Après un nouveau voyage en bus le long de cette côte dalmate sinueuse, nous arrivons à Kotor à la tombée de la nuit. Notre guesthouse est située à seulement deux kilomètres de la gare des bus. Idéal ! Toutefois, nous n’avions pas calculé  qu’elle se trouverait dans les hauts de Kotor et qu’une bonne montée de 30 minutes, chargés de nos effets (pas loin de 35 kg partagés), nous attendait. Heureusement la récompense est de taille car la terrasse offre une vue magnifique sur ce que nous appellerons le « fjord de Kotor ». Enfin la perspective de se reposer après le marathon adriatique (six destinations en deux semaines !), d’écrire nos articles, d’aller nous baigner (sans Bora) et bien sûr, comme toujours, de découvrir !

La vieille ville de Kotor
Fête nationale, un congrès à Berlin et un peu d'histoire balkanique

Le destin a voulu que nous arrivions au Monténégro le jour de sa fête nationale. Elle commémore le 13 juillet 1878, date à laquelle la principauté du Monténégro est déclarée indépendante par le congrès de Berlin. Cette date correspond en outre au soulèvement de 1941 contre l’occupation italienne. Mais prenons le temps de revenir sur le congrès de Berlin, durant lequel ont été discutées des affaires dont les répercussions sont toujours d’actualité. Celui-ci réunissait les grandes puissances européennes afin de réorganiser les Balkans suite à la guerre russo-turque de 1877-1878. Cette guerre avait été remportée par la Russie, enfin victorieuse contre l’Empire ottoman suite à sa cuisante défaite dans la guerre de Crimée en 1856. En 1878, c’est une armée ottomane vétuste et loin de sa splendeur passée qui est terrassée. Une puissance décadente, qui avait alors cessé de fournir les efforts nécessaires pour se moderniser et qui n’inspirait plus la terreur d’antan. Au fond, cette défaite était un premier signe avant-coureur du démantèlement de l’Empire ottoman, qui survint près de 40 ans plus tard, après quatre siècles d’hégémonie.

Carte des Balkans, évolution des frontières entre 1683 et 1923 (effondrement de l'Empire ottoman), source : https://maps.lib.utexas.edu/maps/historical/history_balkans.html

La guerre russo-turque de 1877-1878 était également la première guerre véritablement destinée à sauver les peuples slaves du sud du joug de l’Empire ottoman. Ce fut en quelques sortes le premier jalon de la Yougoslavie, littéralement des états « slaves du sud ». Alors que le Monténégro proclamait son indépendance, que la Serbie conservait la sienne (acquise par les armes en 1830 déjà), la Bosnie était intégrée à l’Empire austro-hongrois. Quant à la guerre de Crimée (1853-1856), elle nous rappelle que ce n’est pas la première fois que cette région fait litige. La Russie y avait été vaincue par une coalition composée des forces ottomanes, françaises et anglaises. L’intervention de l’Angleterre dans la guerre de Crimée touche à un sujet beaucoup plus vaste, à une guerre de l’ombre qui a opposé la Russie à l’Angleterre durant plusieurs siècles : le Grand Jeu. L’intérêt immédiat de la couronne était de limiter l’accès de la Russie à la Méditerranée, et par extension à la mer Rouge qui offrait une voie rapide vers les Indes. Mais nous aurons l’occasion d’y revenir quand nous parcourrons l’Asie centrale et l’Inde.

La muraille de Kotor

La vieille ville de Kotor, Cattaro comme l’appelaient les Vénitiens, ressemble à une version miniature de Dubrovnik. Elle est inscrite à l’Unesco notamment pour sa muraille longue de 4,5 kilomètres.  À l’instar de Dubrovnik ou de Zadar, l’histoire de Cattaro est marquée par le cortège de calamités habituelles : Goths, Sarrasins, Ottomans, Vénitiens, Hongrois, tremblements de terre. À ce palmarès vient cette fois s’ajouter l’invasion mongole au début des années 1240, il ne manquait plus qu’eux ! Elle est ensuite restée aux mains des Vénitiens de 1420 jusqu’à la fin du 18ème siècle. Au début du 20ème siècle, la majorité de la population était croate et catholique. Aujourd’hui elle est monténégrine et orthodoxe. La ville se trouve au fond d’une des plus grandes baies de toute la Méditerranée, qui revête des allures des fjord en faisant abstraction de la végétation. Un fjord sans brume et sans cascade, dépourvu de å et de ø. Et au contraire de ses cousins du grand nord, celui-ci n’a pas été creusé par les glaciers : il s’agit simplement d’un canyon dans lequel s’est déversée la Méditerranée!

Une balade à l'échelle du Monténégro

Les « échelles de Kotor » permettent de prendre un peu de hauteur pour contempler la baie. Il s’agit de l’ancien chemin muletier qui rattachait autrefois le village au reste du monde par voie terrestre. 7h00 du matin, nous franchissons les premières marches du sentier. 7h30, une invitation à boire du raki dans un joli jardin par un vieil homme solitaire, à torse nu, complètement soul. Nous déclinons poliment l’invitation et il devient franc-fou contre les touristes que nous incarnons, il nous traite d’infâmes « Poutine » (la majorité des touristes de la région sont Russes). Nous prenons nos jambes à nos cous sous un flot d’injures en yougoslave, ça nous apprendra à refuser l’hospitalité locale. Un personnage tout droit sorti du Coq Rouge, ce roman de l’auteur monténégrin Miodrag Bulatovic dans lequel un vieux paysan cruel et alcoolique martyrise un jeune homme qui s’enfuit avec son magnifique coq rouge, sa seule source de fierté. Il faut admettre que les raisons d’en vouloir aux touristes ne manquent pas par ici, la vie est dure dans l’envers de ce décor de rêve qui ne sert plus que d’aliment pour les réseaux sociaux.

Près de 1000 mètres plus haut et dieu sait combien de virages en épingle à cheveux après, le panorama s’ouvre sur toute la baie et les sommets environnants : un paysage rugueux et vertical contrasté par le bleu plein de la mer. En redescendant par un chemin alternatif, nous tombons sur de vieilles ruines dans une forêt épaisse, qui sont mentionnées sur notre carte comme un… ancien poste-frontière de l’Empire austro-hongrois ! Puis sur un épaulement rocheux apparaissent les ruines de la haute ville de Kotor, en contre-bas de la muraille. Une petite chapelle tombe en décrépitude à l’ombre d’un vieux cyprès. Elle a été commanditée par un Italien au début du 16ème siècle, si nous en croyons l’inscription surmontant l’entrée. À l’intérieur, des restes de peinture bleue et rouge tombent des murs et se transforment en poussière. Tout est quiétude. Puis nous pénétrons dans cette forteresse à la muraille interminable par une petite ouverture rendue accessible par une vieille échelle en bois attachée de manière sommaire à la roche. Le changement d’ambiance est immédiat : le grand défilé de mode reprend, nous entrons en franchise Instagram. Des gens vêtus de leurs plus beaux atours se forcent à sourire le temps d’un shooting avant de poursuivre leur balade en tirant la gueule, une fois leur tribut payé à l’idole du Paraître. Après avoir atteint le sommet sous un soleil de plomb, traversé ses ruines anciennes et modernes en bataillant contre une armée de selfie-sticks, nous nous envoyons une dernière série de marches incalculable jusqu’au village près de 300 mètres en contre-bas.  

"Kotor est une ville fantôme..."

… nous apprend notre hôte Nikola au cours d’une conversation animée, sur l’une des vieilles terrasses de la ville. Personne n’y vit car le prix des loyers a pris l’ascenseur depuis l’explosion du tourisme. Toute la basse saison touristique, ses vieilles ruelles sont désertes. Le coût de la vie est élevé, les revenus misérables. Dans les années 1990, alors que le Monténégro était l’un des deux derniers états membres de l’ex-Yougoslavie avec la Serbie, le pays avait adopté le Deutsche Mark comme monnaie officielle, ce qui avait pour un temps garanti un certain niveau de vie. Depuis sa sortie de la Yougoslavie en 2006, le pays a adopté l’Euro, bien qu’il ne soit pas membre de l’Union européenne. On passe d’un sujet à un autre avec Nikola, qui nous rapporte encore une anecdote à la fois hilarante et tragique sur un touriste qui s’était perdu dans les montagnes près de la capitale, Podgorica. Incapable de retrouver son chemin, celui-ci avait allumé de petits feux pour appeler au secours. Ses feux ont fini par se propager à toute la forêt, ce qui a constitué un signal suffisant pour attirer l’attention des secours. Heureusement, le touriste s’en est sorti indemne.

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