
Kotor, un fjord pas comme les autres
Kotor, un fjord pas comme les autres Une arrivée au sommet Après un nouveau voyage en bus le long de cette côte dalmate sinueuse, nous
L’Albanie et le Kosovo, nouvelles étapes de notre périple, nous ont enfin permis de sortir des sentiers battus. Elles auront été marqués des sceaux de l’hospitalité et de l’archéologie. Nous quittons le Monténégro, « les monts Noirs » comme les appelaient autrefois les Vénitiens, en longeant sa côte déchiquetée puis en rejoignant le lac de Shkodra, le plus grand lac des Balkans, unique pour sa flore et sa faune. La frontière albano-monténégrine sépare cette grande étendue d’eau par le milieu, ce qui ne semble heureusement pas trop inquiéter les millions d’oiseaux migrateurs qui y font un arrêt chaque année. Enfin nous arrivons à Shkodra, la capitale du nord de l’Albanie.
La vieille ville de Shkodra est toute petite, comme une maquette avec ses mignonnes maisons colorées à deux étages et sa grande allée pavée. Elle est étreinte par un chef d’œuvre d’entrelacs de fils électriques, qui s’enroulent par dizaines autour des poteaux. Pour être électricien dans cette ville et se souvenir à quoi chaque fil est relié, il faut un cerveau surhumain, une vie d’apprentissage. Comme nous ne tardons pas à le découvrir, cette pratique semble généralisée jusqu’au Kosovo. Et sur ces vieux pavés, sous ces innombrables fils électriques, filent dans tous les sens des vélos, dont l’usage est généralisé et intergénérationnel, agréable surprise. La ville ne manque pas de charme donc, bien qu’elle ne soit pas particulièrement touristique : elle sert surtout de base aux randonneurs-ses se lançant à la découverte des « Alpes albanaises ».
Nous nous rendons par une fin de journée ensoleillée à la forteresse de Rozafa, aux confins de la ville. Celle-ci domine toute la plaine et offre un coup d’oeil splendide sur le lac et la campagne environnante. Des minarets solitaires émergent des prés, les rivières de la Buna et Drina scintillent dans les lueurs du couchant, le lac s’embrase avec les derniers rayons. La touche vénitienne dans l’architecture de la forteresse nous rappelle que les liens unissant l’Albanie à l’Italie ne datent pas d’hier. Car aujourd’hui encore, la langue de communication reste l’italien davantage que l’anglais, qui est enseigné dès les premières années d’école.
Un brin de conversation avec notre hôte, le frère d’un ami venu vivre en Suisse, et avec l’archéologue responsable du district de Shkodra nous ont servi d’introduction à la situation dans le pays. « Si l’Albanie rejoignait l’Union européenne, il ne resterait plus personne ici. Tout le monde partirait » nous dit-on à moitié en plaisantant lors d’une balade au bord du lac. Il y a de quoi être dépité par les conditions de vie difficiles du pays, l’un des plus pauvres de l’Europe au sens géographique. Sur ces quelques dernières années, ce sont près de 500’000 Albanais-ses qui s’en sont allé-e-s, sur une population d’alors à peine plus de trois millions d’habitant-e-s et dont un million est basé dans la capitale, Tirana. À travers le monde, le total de la population albanaise s’élève entre 7 et 10 millions de personnes, c’est dire la taille de la diaspora. Historiquement, la partie la plus importante de la diaspora albanaise s’est développée en Turquie, à Istanbul en particulier. Aujourd’hui, cette composante albanaise a totalement été assimilée par le peuple turc. Toujours est-il que cela pourrait expliquer pourquoi l’une des trois villes qui composaient originellement Istanbul aux côtés de Galata et de la Corne d’Or se nommait Scutari (l’actuel quartier d’Üsküdar). Car Scutari, c’est également le nom de la ville de Shkodra… en italien !
On contemple les filets tirés sur la grève, les vaches venues s’abreuver et chercher un peu de fraicheur, des retraités jouant aux échecs à l’ombre de vieux platanes, profitant de leur rente misérable… quelle formule miraculeuse pourrait donc donner un nouveau souffle à la jeunesse albanaise ? Une petite presqu’île s’avance sur le lac, sur laquelle trônent les ruines d’une demeure inachevée. La légende dit que ce devait être une résidence de vacances pour le roi Zog. La famille Zog était une puissante famille du nord du pays, dignitaires pendant l’occupation ottomane (qui n’a pris fin suite à une révolte qu’en 1912). Si cette maison n’a jamais été finie, c’est peut-être parce que le roi Zog premier (et dernier) n’a pas eu une vie facile. D’abord les visées coloniales de Mussolini sur l’Albanie, puis après la débâcle de l’armée italienne durant la Deuxième Guerre mondiale, l’occupation allemande. À la fin de la guerre, c’est le communisme qui prend le dessus de manière durable avec le parti d’Enver Hoxha.
Les collaborateurs du régime nazi sont exécutés, et les royalistes et les républicains sont noyés dans la masse des exécutions. Zog a donc passé la seconde moitié de sa vie en exile, pour finalement mourir en France en 1961. Hoxha s’est quant à lui aligné sur la politique stalinienne de Tito, qui dirige alors la Yougoslavie. À la chute de l’URSS, Hoxha a maintenu une politique d’isolationnisme, qui aura duré jusqu’en 1992, laissant le pays dans un état catastrophique et une économie exsangue (une étymologie commune entre ce mot et Hoxha devrait être envisagée). Il avait déclaré l’Albanie athée en 1960, toute forme de religion étant alors condamnée comme « maladie mentale ». Les cathédrales et autres édifices religieux ont été réaffectés en halles de gym ou pour d’autres usages plus rationnels. Les enfants étaient envoyés dans des camps de redressement, les religieux-ses exécuté-e-s. C’est peut-être des suites de ces persécutions que l’Albanie et le Kosovo offrent aujourd’hui un si bel exemple de cohabitation et de tolérance réciproque entre communautés laïques, chrétiennes et musulmanes, cette dernière composant près de trois-quarts de la population. Parmi plusieurs interprétations, l’une voudrait que l’aigle bicéphale du drapeau albanais symbolise la diversité religieuse du pays unie sous les mêmes couleurs.
Aux aurores d’une belle journée de juillet, nous sautons dans la navette amenant les ouvrier-ères au barrage de Koman et à sa centrale électrique depuis Shkodra. Après plus d’une heure de voyage pour seulement 30 kilomètres d’une route défoncée, la navette nous largue devant la ferme des parents de notre ami Marsel. Nous y découvrons un véritable paradis au jardin luxuriant, dont les produits nous ont nourri pendant trois jours : miel, fromage, vin, raki, œufs, lait, fruits et légumes de toutes sortes. C’est le barrage, où travaille également le père de notre ami, qui a permis à la région de prospérer. Nous établissons notre quartier général au restaurant de Kastrioti, chez ce cousin de la famille dont le nom à les consonnances du « castrum ». Cela nous évoque le castello Dalmatio, l’un des buts de notre visite. Vous l’aurez compris, c’est d’une forteresse qu’il s’agit, perchée plusieurs centaines de mètres au-dessus de nos têtes, au sommet d’une série interminable de barres rocheuses.
Le site, fouillé depuis plusieurs décennies par une mission française, et depuis quelques années par l’Université de Genève également, comprend une nécropole où ont déjà exhumées plus de 1000 tombes. Cela en fait l’ensemble de référence le plus précieux loin à la ronde pour comprendre la période de transition entre l’Antiquité tardive et le haut Moyen-Âge (très grossièrement entre 400 et l’an 1000). La nécropole a même donné son nom à la « civilisation médiévale de Komani ». Bien qu’en apparence inaccessible et incroyablement reculé, le site se trouvait à l’intersection entre plusieurs voies trans-balkaniques qui en faisaient un lieu stratégique incontournable. En montant sur le site, on est frappé par l’apparition de roches aux couleurs et aux textures étranges, au milieu de tout ce calcaire qui s’étendait de manière uniforme depuis la Croatie. Commencent enfin à surgir ces roches gorgées de métaux qui ont fait la richesse des Balkans depuis la Préhistoire ! Une impression confirmée par les parents de notre ami, qui nous apprennent que des gisements de cuivre étaient exploités jusqu’à récemment sur la rive opposée de la rivière, cette rivière glaciale dans laquelle nous nous jetons pour refroidir nos chaudières après ces brûlantes journées d’été.
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De l’Albanie au Kosovo, partie 2 De Koman à Prizren Pour rejoindre le Kosovo, nous décidons de traverser les montagnes en prenant le ferry qui