
La Hongrie, des steppes à l’Empire
La Hongrie De la grande chevauchée des steppes à l’Empire Budapest, deuxième destination de notre tour du monde et véritable coup de coeur (connaissez-vous les
Après un rapide passage à Zagreb, où les grues s’affairent à raffistoler les bâtiments endommagés par le tremblement de terre du 22 mars 2020, nous poursuivons notre périple vers Zadar sur la côte Dalmate. Cette petite ville construite sur une presqu’île au bout de l’archipel auquel elle a donné son nom a du charme, avec ses ruelles blanches polies par des millions de souliers, ses façades encombrées de fleurs et de plantes grimpantes, ses ruines romaines et vénitiennes.
Cette riche cité portuaire était la plus importante base byzantine en Adriatique après la prise de Ravenne par les Lombards en 751. Elle est ensuite devenue l’un des premiers remparts vénitiens dans la lutte contre les Ottomans. Après être passée pour un temps sous domination austro-hongroise, elle est revenue aux mains des Italiens en 1920, suite au démantèlement de l’Empire. Les Italiens l’ont déserté à leur tour au début des années 1940 devant l’avancée des troupes yougoslaves du général Tito. Ils formaient alors plus de 80% de la population de la ville, qu’ils ont laissé aux mains des Yougoslaves jusqu’à la proclamation de l’indépendance croate en 1991.
Enfin un peu de nature, après ces premières étapes plus urbaines de notre tour du monde. Nous avions dû renoncer à un trek de huit jours dans la chaîne du Velebit au printemps 2020 en raison du Covid, il fallait donc aller jeter un œil dans ce paradis pour la randonnée. Pour ce faire, pas de meilleure base possible que le village de Starigrad près de Zadar, au débouché des imposantes gorges de calcaire qui referment le parc naturel de Paklenica. Le parc est inscrit à l’Unesco pour sa forêt primaire de hêtre, l’une des plus anciennes d’Europe. L’une des rescapées de plusieurs millénaires d’exploitation humaine. L’on peut y rencontrer des ours, des lynx, des loups, et près de 80 espèces végétales endémiques. Mais c’est à un autre arbre que le parc doit véritablement son nom : le pin, dont les forêts s’étendent à perte de vue. La région était autrefois appelée « Paklina », un terme qui désignait la résine du Pin noir. L’exploitation de la poix était destinée au revêtement des navires (la poix a la propriété de rendre le bois imputrescible), à l’éclairage et à la concoction de remèdes variés. Il s’agissait donc d’une source économique importante pour la région. Nous avons parcouru le parc durant trois jours, profitant de ses vues imprenables sur les archipels qui s’étendent au large et courbant l’échine sous les rafales de Bora, ce vent particulièrement violent qui descend des montagnes quelques fois par année pour écraser les bateaux sur l’Adriatique.
De Zagreb à Kotor en passant par Zadar et Dubrovnik, soit plus de 15h de bus au total, nous n’avons cessé de nous demander si nous allions finir par tomber sur un endroit moche. Et la réponse est non, bien que l’architecture « à la soviétique » fasse son apparition une fois passée la frontière monténégrine. La côte Dalmate est époustouflante. Elle a été épargnée par le bétonnage intensif, comme c’est malheureusement de plus en plus souvent le cas autour de la Méditerranée. La route déroule sous nos yeux des trésors de nature inviolée avec des archipels verdoyants à perte de vue. En franchissant une frontière inattendue, on se rend compte que la Croatie a octroyé à la Bosnie ce que la Bolivie s’est vue refuser par le Chili : quelques kilomètres de cette côte immense pour ces reclus continentaux (pour être précis, seulement 22 kilomètres sur un total de près de 1800 kilomètres de littoral). Cet état de faits remonte en fait à l’Empire austro-hongrois, qui possédait la côte croate alors que la Bosnie était ottomane. Aujourd’hui encore, de nombreuses familles bosniaques travaillent sur la côte croate. Elles habitent depuis des générations dans tous ces petits villages situés à un jet de pierre de la mer, dans la portée duquel l’histoire a glissé cette frontière.
Après Budapest, « la perle du Danube », Dubrovnik, « la perle de l’Adriatique ». Autrefois, il était des poètes qui se sentaient l’âme de bijoutiers, toujours à la recherche des joyaux que recèlent le monde. Aujourd’hui, ce sont les offices de tourisme qui prennent leurs bureaux pour des bijouteries. Toujours est-il que Dubrovnik est une perle rare, c’est certain.
Fondée par des Grecs fuyant alors la cité romaine d’Épidaure dans le Péloponnèse au début du 7ème siècle, sous la pression d’incursions barbares et notamment slaves (comble de l’ironie), elle s’est rapidement développée en l’une des villes portuaires majeures de l’Adriatique. Une importante composante croate s’est mélangée au substrat local dès le 9ème siècle, en faisant un exemple unique d’alliance slavo-latine, pourvue de deux langues officielles. La ville a acquis le statut de république en 1358, suite au Traité de Zadar. Elle s’appelait alors la République de Raguse. C’est d’ailleurs à elle que doivent leur nom les célèbres barres de chocolat Ragusa de Camille Bloch, certainement un brin nostalgique de ses vacances à Dubrovnik. Ville marchande par excellence, elle drainait tous les métaux précieux des Balkans pour en produire des œuvres d’art redistribuées aux quatre coins de la Méditerranée. Ses marins avaient réputation d’excellence, et deux d’entre eux se sont retrouvés sur le navire de Christophe Colomb lorsqu’il atteignit l’Amérique pour la première fois. La république de Raguse a été l’un des premiers états chrétiens à obtenir un traité de paix avec l’Empire ottoman, moyennant un tribut annuel qui lui a permis de conserver une indépendance relative jusqu’au 19ème siècle. Malgré cela, un terrible tremblement de terre survenu en 1657 (anéantissant presque la moitié de la population de la ville) a induit un déclin progressif de sa puissance.
Une exposition photographique au Musée d’histoire culturelle nous a permis de replonger dans le dernier grand épisode tragique de l’histoire de Dubrovnik : la guerre de Yougoslavie. Malgré sa reconnaissance mondiale pour son patrimoine bâti, la ville a subi un bombardement dans les règles de l’art en 1991, alors que la Croatie bataillait pour son indépendance. En plus des centaines de victimes, de nombreux monuments ont été réduits en miettes. Cependant, pratiquement aucune trace de ces dégâts n’est visible aujourd’hui, tout a été reconstruit à l’identique. Difficile de s’imaginer qu’une telle tragédie est survenue il y a 30 ans à peine en voyant déferler les milliers de touristes amenés chaque jour par les bateaux de croisière. Les croisiéristes, parlons-en, ces croisés des temps modernes tellement plus facile à amadouer et à détrousser que leurs ancêtres Francs. La tendance s’est inversée avec le temps : autrefois on repartait avec des caisses débordantes de trésors, aujourd’hui on repart le porte-monnaie vide. Les croisades modernes, c’est de la vidange d’épargne. Bref, un dernier revers de fortune, heureusement virtuel cette fois, a bien servi la ville de Dubrovnik à accroître sa prospérité et sa popularité pour en faire aujourd’hui la Raguse du tourisme : sa destruction par des dragons dans une série que vous connaissez bien.
Au détour de la très belle fontaine de l’Onofrio, nous nous faisons happer par une exposition sur Salvador Dalí. Cela nous ramène à Vienne, à Zweig et à Freud. L’exposition est consacrée à ses lithographies de chevaux légendaires, à une série commandée pour la réalisation d’une bible illustrée, à Tristan et Iseult qui était l’un de ses mythes favoris, et enfin à une série d’illustrations destinées au roman de Lewis Caroll Alice au pays des merveilles. Entre tous ces chefs-d’œuvre, les figures de chevaux attirent particulièrement notre œil d’archéologue. Leur représentation abstraite, leur silhouette élégante suggérée par quelques traits fortement marqués, nous renvoient directement aux grottes ornées du Paléolithique. Ils évoquent les fabuleux chevaux de Pech Merl, peints il y a 30’000 ans dans le Lot, ou ceux de Lascaux ou d’Altamira. Ses cavaliers rappellent quant à eux les peintures du Levant espagnol, plus piquantes, plus agressives, plus tardives aussi puisque datant du Néolithique.
Un tableau sort du lot, entre en résonnance avec nos premières impressions de voyage : le Cheval de Troie. Sans revenir sur cet épisode mythique de l’Iliade survenu au début du 12ème siècle avant notre ère, sa représentation offre une métaphore fantastique des migrations guerrières des peuples steppiques dont nous parlions dans l’article sur la Hongrie. Ce sentiment de « submersion » se trouve accentué par la profondeur insaisissable des entrailles de l’œuvre, de laquelle sort cette colonne guerrière. Leur cheval de Troie, c’était le cheval, précisément ! C’est lui qui leur a permis d’abolir les distances écrasantes de la steppe eurasiatique, qui leur a permis de dominer la Chine et l’Europe à la fois. Le Cheval de Troie, c’est toutes ces hordes guerrières qui ont déferlé sur l’Europe au gré des millénaires, venant ébranler les fondements du monde « civilisé » et en changeant le cours à de nombreuses reprises : Mongoles, Turques, Hongrois, Bulgares, Avares, Huns, Sarmates et Scythes, pour ne citer qu’eux.
Bon, on a encore envie de s’attarder sur ce tableau du Picador, dont la représentation du cheval évoque cette fois l’art celtique laténien. Cette forme d’art définit une culture celtique pratiquement pan-européenne datant des quelques derniers siècles avant notre ère. Son nom est issu du fameux site de La Tène au bord du lac de Neuchâtel. Elle est caractérisée par des enchevêtrements de motifs végétaux ou animaliers très abstraits, qui avaient essentiellement pour support les épées et les potins (monnaies celtiques). Elle s’affranchit des canons de l’art gréco-romain très réaliste pour en faire quelque chose d’onirique, flirtant avec l’au-delà, l’inconscient. Ce n’est donc pas une surprise si le mouvement surréaliste au 20ème siècle s’en est inspiré dans sa démarche qui consistait à s’affranchir du rationnel, des idées reçues et des mouvements dominant la pensée, comme aimait en témoigner André Breton par exemple. Et Dalí bien sûr, est une figure de proue de ce mouvement surréaliste. Le passé et le présent se répondent, les idées transcendent les millénaires.
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Kotor, un fjord pas comme les autres Une arrivée au sommet Après un nouveau voyage en bus le long de cette côte dalmate sinueuse, nous