Bardiya, le livre de la jungle

12 décembre 2022

De retour à Pokhara après notre longue expédition autour des Annapurnas, nous effectuons une rocade hôtelière. Question de budget. Sauf que voilà que nous attend devant notre nouvel hôtel la femme du manager de notre hôtel précédent, à qui nous venions de dire que nous quittions Pokhara dans deux heures. La poisse ! En regrettant notre excès d’helvétisme et pour ne pas se faire prendre la main dans le sac (peut-être aussi par recherche de sensation forte, c’est qu’on en manque beaucoup), on longe le mur à l’affût du moment où elle détournera le regard pour se faufiler en douce dans notre nouvelle auberge. Namaste ! On profite de se reposer quelques jours avant la longue route qui doit nous mener à Bardiya, tout au sud-ouest du pays. Mais après tous ces talus himalayens, nos jambes ont gardé la bougeotte. Aussi nous lançons-nous à l’assaut du « Peace Pagoda », un stupa construit au sommet de la colline dominant la rive opposée du lac Pewa. Le projet avait été initié par un moine Japonais œuvrant pour la paix dans le monde, traumatisé par l’indicible horreur d’Hiroshima et de Nagazaki. Plus de 80 « peace pagodas » ont depuis été construits à travers l’Asie, l’Europe et l’Amérique. On trouve une barque et un jeune rameur pour traverser les eaux calmes du lac par un après-midi ensoleillé. Une fois passée l’île au temple de Taal Barahi Mandir puis arrivé-e-s de l’autre côté, une volée de marches interminable à travers jungle et terrasses nous sort de notre torpeur pour nous conduire au sommet, d’où s’ouvre un panorama grandiose sur le lac et les Annapurnas, que nous embrassons une dernière fois du regard.

Le magicobus

C’est par une journée brumeuse que nous nous rendons à la gare routière de Pokhara, où les employés du bureau nous apprennent que notre bus pour Bardiya part d’un tout autre endroit. Devant notre mine déconfite, deux d’entre eux se précipitent dehors et nous font monter à l’arrière de leur scooter pour nous y mener à temps. Avec le poids de nos sacs immenses, on craint de finir écrasé sur la chaussée à chaque virage ou coup d’accélérateur. À peine sommes-nous assis dans le bus que son immense carcasse métallique se met en branle ; commence alors ce qui devra être le voyage le plus interminable de notre tour du monde. Les embouteillages d’abord. Lors de chaque arrêt des jeunes montent dans le bus pour nous vendre de l’eau ou des épis de maïs grillés : « paani, paani, mogai, mogai ». Puis la musique indienne au volume indécent, les chanteuses nous perçant les tympans de leur voix suraigüe. Même en enfonçant profondément des boules Quies dans nos oreilles, nous arrivons à peine à un niveau sonore audible. La situation se gâte encore un peu quand on finit par se rendre à l’évidence que le chauffeur n’a aucune intention de baisser le volume pour la nuit de voyage qui nous attend. En fait, c’est notre sécurité qui dépend du volume sonore, puisque c’est pour notre chauffeur un moyen sûr de garder les yeux ouverts. Nous déchirons le silence nocturne de la jungle du plat-pays népalais, la musique à plein tube. Avec les cahots et nids de poule innombrables de la route, le brouillard, le manque de sommeil, les gens qui fument en cachette, lâchent des caisses, les odeurs de transpiration, on a l’impression d’avoir atterri au beau milieu d’une rave party Nous atteignons le village d’Ambasa dans un état second, aux premières lueurs de l’aube. Notre magicobus disparaît avec sa musique dans le brouillard, comme si ce que nous venions de vivre n’était rien de plus qu’un rêve étrange.

À gauche, vidéo de peu après notre départ 

À droite, la situation à 2h du matin. À vous de mettre le son aux risques et périls de vos oreilles 

Accueil Tharu

Un tuk-tuk ! Le premier depuis le début de notre tour du monde. Il vient nous chercher pour nous conduire à notre auberge, à 30 minutes de route de la nationale. Le chauffeur nous raconte chemin faisant qu’il croise souvent des tigres et des panthères le long de cette route, à l’aube et au crépuscule. Aucun doute, nous pénétrons dans un univers bien différent de l’Himalaya, loin des neiges éternelles et des yacks. Ici, le parc national de Bardiya doit sa renommée à la jungle et ses bêtes sauvages, à sa biodiversité foisonnante ainsi qu’à sa vie rurale pittoresque. En bref, c’est une version plus reculée et moins fréquentée du parc de  Chitwan, étape classique des voyages au Népal. Notre hôte Amil brave le brouillard pour venir nous accueillir ; il parle français couramment grâce aux onze années qu’il a vécu à Grenoble. Il nous fait emménager dans une charmante petite maison aux murs d’argile jaunes ornés de reliefs dépeignant des scènes de vie et des animaux sauvages.

Le soir, nous assistons à une danse traditionnelle des Tharus, l’ethnie majoritaire dans cette région du Teraï (plat-pays népalais). La légende dit que ce peuple aurait fui le Rajasthan au 14ème siècle pour échapper à l’Islam impitoyable des peuples d’Asie centrale, qui s’aventuraient toujours plus avant et toujours plus durablement dans le sous-continent indien. Les Tharus vivent depuis dans une relative autonomie, en relation étroite avec la nature. La danse est performée par une douzaine d’adolescentes vêtues de robes colorées à l’arrière desquelles sont fixées de longues plumes de paon. Un homme au turban bleu donne le rythme de son tambour. Un petit panier en osier est posé sur un tapis devant les danseuses ; à chaque fois que le public lâche un billet sur le tapis, une danseuse sort du groupe, se renverse en rythme jusqu’à faire le pont puis, la tête à l’envers, attrape le billet de sa langue et le dépose dans le panier dans un mouvement presque reptilien. Arrive fatalement le moment où nous sommes invités à danser : après toute la fatigue du voyage, les mouvements désordonnés et peu gracieux de nos grandes carcasses européennes déclenchent de grands éclats de rire. Les présentations sont faites.

Le retour des mahous

Tard chaque nuit l’humidité condense, devient brouillard et commence à goutter de partout. Elle suinte des arbres, des feuilles, des murs et des toitures. Puis le soleil perce vers midi et le brouillard se dissipe. C’est en fin d’après-midi qu’il est le plus agréable de partir se balader entre les fermes, la rivière Karnali et les champs de moutarde d’un jaune tendre dont s’élève un agréable parfum. Un vaste pré dégagé le long de la rivière constitue le point de rencontre des villageois-e-s, le lieu de sortie qu’affectionnent les classes de la région. Des cars sont garés tout autour et l’ambiance est chaque jour à la fête. De petits chariots se baladent pour offrir rafraichissements et friandises, les jeunes se montrent sous leurs plus beaux atours. Des groupes se précipitent sur nous pour prendre des photos, le touriste constituant visiblement un spécimen plus rare à Bardiya que sur les sentiers de l’Himalaya. Puis la vedette nous est volée par les éléphants et leurs mahous qui sortent de la jungle au soleil couchant, de l’autre côté de la rivière. Ils déclenchent l’euphorie générale et dès qu’ils rejoignent notre rivage, la foule se précipite sur eux pour prendre des selfies parfois bien téméraires, un éléphanteau terrorisé se cache dans les pattes de sa mère. Si les balades à dos d’éléphant ont été proscrites il y a des années, ces éléphants domestiques appartiennent encore à quelques familles népalaises issues des plus hautes castes ainsi qu’au gouvernement.

Au coeur de la jungle

À Bardiya les safaris ne se font qu’à pied. Nous partons donc plein d’assurance avec notre guide Padam, aux premières lueurs d’une aurore nimbée de brume, armés de simples bâtons en bambou. La consigne si une rencontre venait à mal tourner avec des bêtes sauvages : trouver l’arbre le plus proche et y grimper le plus haut possible. C’est que le parc compte une ribambelle de créatures hostiles, parmi lesquelles 120 tigres, une centaine d’éléphants et plus qu’une trentaine de rhinocéros. Si ces derniers peinent à se multiplier, c’est en raison du goût prononcé qu’ont les tigres pour les jeunes rhinos. Les femelles ne mettant bas que tous les 4 à 5 ans, l’incidence est dramatique nous explique Padam. Bardiya n’est pas que danger heureusement, c’est aussi un paradis pour ornithologues avec sa pléthore de martins-pêcheurs, d’oiseaux rares (loriots à capuchon noir, torcols fourmiliers, perruches alexandres), d’oies de Sibérie et de rapaces aquatiques. Les forêts qu’abrite le parc sont « légèrement » jardinées : de petits feux de prairie sont opérés de temps à autre pour maintenir des ouvertures dans la végétation, ce qui permet d’en augmenter la biodiversité. Ce procédé favorise notamment la prolifération du daim, qui favorise à son tour celle du tigre. Nous ne tardons pas à comprendre que le safari dans la jungle est une autre affaire que le safari dans la steppe kazakhe, où nous pouvions repérer les bêtes à plus d’un kilomètre de distance. Ici l’herbe est si haute et la végétation si dense que l’on pourrait passer à côté d’un troupeau d’éléphants sans même s’en rendre compte.

Les heures du matin sont les plus propices à l’observation du tigre, qui passe sinon le plus clair de la journée à se reposer. Les berges des rivières et leurs lits asséchés constituent d’excellents points d’observation. On y trouve une multitude d’empreintes d’animaux, certaines anciennes et d’autres fraîches de quelques heures à peine. De tigre, de rhinocéros. « Des champignons hallucinogènes poussent sur les excréments de rhino », nous raconte Padam. Un psychotrope puissant tout droit sorti des entrailles d’un monstre préhistorique, voilà de quoi séduire n’importe quel adepte de chamanisme. La journée se déroule au ralenti, passant d’un point d’affût à un autre. Des crocodiles paressent sur une berge ensoleillée. Jusqu’à quelques années auparavant, il était possible d’admirer dans les rivières les dauphins d’eau douce, qui remontaient jusqu’ici en période de crue. Des daims et des macaques barbotent joyeusement dans un lit de rivière où ne restent plus qu’une série de flaques. Les singes sont d’humeur joueuse, ils se pincent et se donnent la chasse, se lancent du sable à la figure. On ne serait pas surpris de voir les plus jeunes construire des châteaux de sable. Alors qu’on commence à se faire à l’idée qu’on va rentrer bredouille pour ce qui est du gros gibier surgit soudain une grande corne dans les hautes herbes, sur la rive opposée. Une corne et des oreilles battant dans la lumière rasante du soleil couchant. Un rhinocéros s’avance au milieu d’une kyrielle d’oiseaux aquatiques, c’est l’heure de sa baignade.

Le doute

Lors d’une balade au village, nous faisons la rencontre d’une française qui poursuit un doctorat en anthropologie dans la région. Le sujet ? Les attaques d’animaux sauvages sur la population locale. « Vraiment, il y en a suffisamment pour justifier un travail de thèse ? »  « Oui vraiment, ça se chiffre entre Chitwan et Bardiya en dizaines de victimes par an ». Tiens, et nous allons nous balader à pied dans la jungle ? Cette rencontre fait germer dans nos têtes l’idée qu’une telle activité n’est peut-être pas aussi anodine qu’elle n’en a l’air. Une rapide recherche sur internet finit de convaincre Jean de la dangerosité de l’entreprise : plus d’une centaine d’attaques de tigres sur des villageois entre Chitwan et Bardiya au cours des 3 dernières années seulement, dont plus de 60 fatales (source). Certes, les attaques sur les touristes sont plus rares (à Bardiya on relèvera celle d’un touriste hollandais qui dut grimper dans un arbre pour échapper au tigre, où il lui fallut attendre 7 heures avant que le matou ne lâche l’os et que des secours arrivent). C’est qu’à l’échelle du pays, la population de tigres a pratiquement triplé en 10 ans et le Népal atteint actuellement la limite d’individus pouvant prétendre à un territoire décent : plus de 350 bêtes (source). À cet égard, la politique népalaise de réintroduction et de protection de l’espèce constitue un franc succès, cela va sans dire, mais ce sont les communautés locales qui trinquent. Car les accidents sont presque toujours dus à une cohabitation peu évidente, en particulier lorsque les villageois-e-s partent chercher du bois de chauffage ou couper du fourrage dans la forêt. Malgré cela, le tigre continue d’exercer une fascination presque religieuse ici, il est investi d’un caractère divin. Le petit garçon de notre hôte ne passe-t-il pas d’ailleurs ses journées à rugir en essayant de croquer les jambes des touristes ? Nous devons repartir dans la jungle le lendemain et pour la première fois un doute terrible gagne Jean :

« Et si nous tombions nez-à-nez avec le tigre ? »

« Tu réfléchis beaucoup trop, il y a si peu de chances que ça arrive » répond Aurélia, rassurante. 

Dans l'oeil du tigre

Si notre première journée d’affût dans la jungle était dominée par l’émerveillement et une forme d’insouciance, ce nouveau départ est accompagné d’un tout autre sentiment: la vulnérabilité. On croit qu’on va faire un safari, mais en réalité ce sont les animaux qui jouent au chat et à la souris avec nous. Alors que nous nous enfonçons tôt le matin dans la pénombre vaporeuse du parc, le bruit rassurant du village s’estompe. Ne retentit plus que le chant peu familier d’oiseaux inconnus, on se sent épié. La jungle apparaît désormais comme un vaste temple menaçant aux colonnades constituées des troncs monumentaux d’arbres à coton, de sals et de bombax pour soutenir la voûte céleste. Les figuiers de banyan déclinent leur ribambelle de branches et de racines en de soyeux rideaux masquant le danger. Sur certains troncs naissent des motifs psychédéliques, visages humains déformés et animaux lignifiés engloutis par l’écorce. Des lianes s’enroulent autour de certains d’entre eux pour les étranglent tels des boas constrictors. C’est un univers secret dans lequel on se sent tout petit, intrus. L’humain dégringole du sommet de la pyramide alimentaire. Les éléphants, les tigres, les rhinos, panthères, pythons et crocodiles se fichent bien de notre assurance de prédateur alpha. On en vient à se dire que se balader à pied dans un parc où résident une centaine de tigres en liberté constitue une forme de sport extrême, adrénaline et sensations fortes garanties. Comme si un blanc-bec d’Européen partait en promenade du dimanche sans gilet pare-balles sur un fief de l’État Islamique, par exemple. Nous sommes tirés de ces grandes réflexions quand nous dépasse sur le chemin un immense éléphant coiffé de deux mahous. On ne s’aperçoit de leur présence que lorsque qu’ils surgissent de la brume un mètre à notre droite, nous faisant sursauter dans un silence absolu. Dans le silence et la brume ils disparaissent comme ils sont apparus, scène onirique.

Après quelques heures d’affût retentissent au loin les cris d’alerte des daims, qui nous signalent la présence du tigre. Nous remontons un lit de rivière asséché d’un pas rapide, puis commençons à courir à mesure que les cris se rapprochent. Nous trouvons une ouverture dans la végétation pour se poster en surplomb d’un petit cours d’eau. Puis soudain montent les grognements du tigre, dans les hautes herbes en face de nous. Nul doute possible le roi de la jungle est juste là, quelque part dans toute cette verdure. Elle apparaît au bout d’une vingtaine de minutes, immense et majestueuse. Une femelle enceinte, nous assure Padam. Elle nous fixe un instant, puis s’immerge dans les eaux troubles de la rivière avant de disparaître à l’aval de notre position. La scène a duré moins d’une minute, nous avons le souffle coupé.

Mais pas le temps de laisser libre cours à notre émerveillement : Padam nous fait courir vers une lisière située sur la trajectoire du tigre, où la jungle épaisse s’ouvre sur un paysage de savane. Peut-être reste-t-il encore une chance de la revoir. On se cache derrière deux arbres épais au bord d’un chemin blanc, attentifs au moindre bruit, au moindre mouvement. L’attente s’éternise, aucun signe du tigre. Puis Padam sursaute, ses yeux s’écarquillent. Il pointe doucement les fougères derrière les arbres nous abritant : la tigresse est là, à deux ou trois mètres de nous à peine, elle nous regarde en passant de sa démarche altière. Padam reste immobile, Aurélia et Stéphanie mettent la tête dans les buissons pour s’assurer qu’elles ne sont pas en train d’halluciner alors que Jean effectue un léger mouvement de recul en attendant le « top départ » pour grimper dans l’arbre. Si Padam n’avait pas bougé, elle aurait pu sortir de la jungle un mètre devant nous, et alors il ne nous serait plus resté qu’à sortir notre « wouf wouf » le plus convaincant pour espérer la mettre en déroute. Encore en état de choc lorsque nous ressortons de la jungle à la fin de la journée, nous avons l’impression d’avoir accompli une forme de rituel initiatique. Nous sommes reçus en héros par nos hôtes, pour qui chaque rencontre avec le tigre est investie d’une signification surnaturelle. Ils performent quelques rituels pour rendre hommage à la nature et la remercier de nous avoir offert cette expérience que nous ne sommes définitivement pas près d’oublier.

Quelques considérations archéologiques autour de la culture tharu

Le jour du solstice d’hiver, nous nous lançons dans une grande balade à travers les villages environnants avec notre guide Padam. Nous avançons dans le brouillard épais du matin entre les champs de moutarde, les lentilles et les rizières. Des zébus et des buffles broutent devant d’immenses tas de foin, des chèvres et des cochons courent autour des fermes. Une famille nous invite à visiter sa demeure, archétype de la ferme Tharu. À quelques détails près (notamment le tableau électrique), l’architecture et les modes de construction nous évoquent directement les bâtiments préhistoriques de par chez nous, de la ferme néolithique à la ferme gauloise. Plan rectangulaire à deux travées internes, murs en torchis sur clayonnage, toit de chaume. Un foyer en cuvette muni d’une chape d’argile réchauffe l’espace central, des bouquets d’herbes séchées pendent au plafond. Les silos à riz (de grands réservoirs tressés avec de l’herbe à éléphant et plaqués d’argile) se trouvent généralement à l’intérieur de la maison, certains servent même à délimiter l’espace entre les « chambres ». Ils sont régulièrement enduits de lait, de bouse et d’urine de vache en guise de protection contre le mauvais œil. Une odeur suave s’élève des cuves où fermente l’alcool de riz. Tout au fond dans le recoin le plus sombre de la maison se cache un petit espace votif où se dresse une statuette de cheval en argile. Toute une gamme de rituels domestiques y est performée au quotidien, la plus fréquente étant la libation d’alcool de riz, et l’on y sacrifie une chèvre ou un poulet plusieurs fois par an afin de se garder de tout problème avec le monde des esprits. Difficile de résister à la tentation de tirer un lien formel avec les « chenets » ou corniformes en argile (figurations de bovidés) retrouvés dans les maisons du Bronze final au nord des Alpes (il y a 3000 ans environ), en particulier chez les lacustres : et si ces pièces énigmatiques, dont la fonction reste débattue depuis plus d’un siècle, avaient quelque chose à voir avec les rituels domestiques performés dans l’intimité de chaque maisonnée ? Chez les Tharus, ce culte du cheval interpelle dans la mesure où nous n’avons pas rencontré le moindre équidé. Son origine pourrait-elle être à chercher chez les anciens peuples nomades de langue iranienne, chez les Kushan par exemple, qui ont régné il y a plus de 2000 ans sur une importante partie du nord de l’Inde (et dont nous avions parlé dans cet article) ? Enfin un autre élément vient choquer notre regard d’archéologue dans la maison : l’absence de céramique, qui ne joue qu’un rôle marginal parmi toute la panoplie des ustensiles domestiques.

Pour maintenir les daims à distance, de la menthe est plantée partout en bordure des champs. Cette profusion de menthe a justifié l’installation d’un grand dispositif au village pour en faire de l’huile essentielle, dont les vertus thérapeutiques sont très demandées. La moutarde, omniprésente, sert quant à elle à produire de l’huile alimentaire. Sur les routes circulent des cyclistes portant d’immenses fagots de branches vertes sur leur porte-bagage. Ils les utilisent à la fois comme fourrage pour les chèvres et pour isoler les abris du bétail contre le froid mordant. Padam nous explique que la population locale doit se baigner dans les canaux d’irrigation longeant les routes et les champs chaque lundi puis se purifier avec du lait de vache afin de se protéger contre les fantômes, qui exercent une grande influence sur la vie quotidienne. Que quelqu’un faillisse à son devoir et il commencera à faire de terribles cauchemars puis tombera malade.

Le riz a cette faculté d’attirer les éléphants sauvages, ce qui débouche sur de fréquents et tragiques accidents. Plusieurs propriétés sont munies d’une tour en bois dans le jardin, au sommet de laquelle les gens peuvent se réfugier quand un éléphant saccage le jardin et les maisons, qu’ils n’ont aucune peine à détruire de leurs immenses pattes pour accéder aux silos à grain et s’arroser d’alcool de riz, après quoi ils entrent dans une folie meurtrière. « Et si on donnait des fusils aux locaux, juste pour effrayer les éléphants ? » – « Impossible, les gens les utiliseraient pour aller chasser. Et l’alcool fait tellement de ravages que les hommes les utiliseraient surtout pour se tirer dessus. Ce ne serait pas responsable » nous répond Padam. Pour sauver les éléphants, l’humanité doit renoncer à sa toute-puissance. Facile à exiger pour une élite occidentale soucieuse de sauvegarder la biodiversité et les merveilles naturelles. Plus difficile à imposer aux populations qui les côtoient au quotidien et qui en font les frais.

Noël gris

Pour notre départ, Amil et sa famille organisent une petite cérémonie afin de nous souhaiter bon voyage. Il nous appose le tika sur le front avec une poudre rouge présentée en petit tas sur un plateau d’argent, nous offre à chacun-e un petit bouquet de fleurs oranges, prononce quelques paroles en nepali puis nous amène prendre notre bus. Leurs prières n’auront pas été vaines car le voyage se passe sans encombre et sans musique surtout, faisant passer la notion de sommeil de chimère à réalité. Nous avons droit en prime à un chef d’œuvre du Bollywood dans lequel des rebelles indiens rendent la vie impossible aux colons anglais, qui sont enfin dépeints dans le rôle des grands méchants qu’ils étaient vraiment. Les Anglais sont au Bollywood ce que les nazis sont à Hollywood. Un jour prochain viendra l’heure de déboulonner les statues de Churchill, qui rejoindra enfin dans les coulisses de l’Histoire la place qu’il mérite aux côtés d’Hitler, Staline, Franco et Mussolini. Au petit matin nous retrouvons la grisaille hivernale et le grand brouhaha de Kathmandou, où nous devons passer les fêtes avant de descendre en Inde. Revoir nos ami-e-s et régler les problèmes de visa, trouver une fondue au fromage pour Noël ; profiter de passer chez un dentiste aussi, qui règle nos problèmes de caries et de points de colle pour la modique somme de 40 USD. Nous subissons la longue attente inhérente à toute procédure administrative avant de recevoir le feu vert tant espéré : nous nous envolons pour Mumbai le 31 décembre, retrouver le soleil.

Article précédent

Prochain article

En savoir plus sur Suivez le cairn

Abonnez-vous pour poursuivre la lecture et avoir accès à l’ensemble des archives.

Continue reading