Voyage en campagne soudanaise

Le Soudan que nous avons découvert au travers de campagnes archéologiques, c’est un Soudan rural, plein de poésie, pratiquement oublié par la marche du temps pour certains endroits reculés. Certes les smartphones ont fait leur apparition, mais le mode de transport principal reste l’âne, et l’eau est encore filtrée dans de grands vases en céramique. Plutôt que de tenter de brosser un portrait de cette vie très ancrée dans la tradition, nous vous proposons une immersion très sensorielle à travers ces quelques lignes de l’écrivain soudanais Tayeb Salih, aux côtés de quelques clichés pris dans la campagne nubienne entre 2016 et 2019 à Kerma, sur les îles de Saï et d’Artigashi, à Wawa, à Sedeinga et à Dal, près de la frontière égyptienne. 

« Cette grande maison, qui n’est ni de pierre ni de brique, est bâtie dans la même terre argileuse que celle des champs de blé dont elle est le prolongement. Les acacias dans la cour en témoignent, comme les plantes folles qui poussent sur les murs où s’infiltre l’eau d’irrigation. C’est une maison qui ne fut pas construite en une seule fois, selon un plan préétabli. Elle avait fini par revêtir son aspect actuel après de longues années d’improvisation : les chambres, de dimensions variables, étaient disposées en enfilade et construite au fur et à mesure des besoins ; parfois gratuitement, du fait d’une somme d’argent à laquelle mon grand-père n’avait trouvé meilleure affectation. Chambres communicant entre elles, certaines sans porte, d’autres ont des portes basses, qu’on franchit le dos courbé, les unes ont plusieurs fenêtres, d’autres en manquent. Les murs, comme la terrasse, sont lisses, passés au mortier de gros sable, d’argile noire et de bouse. Le plafond est en bois et branches de palmier et d’acacia. Vaste demeure, fraîche en été, chaude en hiver. A la regarder du dehors, froidement, elle semble précaire, mais sa résistance au temps tient du miracle. 

J’entrai dans la grande cour, regardant à droite, à gauche. Des dattes étaient disposées pour le séchage sur des nattes ; des oignons et des piments étaient étalés ; il y avait aussi des sacs, béants ou déjà cousus, de fèves et de blé. Dans un coin, des chèvres broutaient l’orge, l’une d’elles allaitait son petit. Cette maison vit au rythme des champ : verdoyante avec les cultures et poussiéreuse en saison sèche. Je respirai l’odeur, riche mais particulière à notre maison, odeur d’oignons, de piments, de dattes, de blé, de fèves, de haricots, de fenouil grec, le tout mêlé à l’encens qui fume dans le brasero de terre cuite. L’odeur de l’encens me rappelait que l’austérité de mon grand-père contraste avec le raffinement qu’il met à choisir ses accessoires de dévotion. La fourrure de prière, dont il se sert comme couverture en hiver, est formée de trois peaux de tigres cousues. Pour ses ablutions, une aiguière en cuivre ornée de gravures et une bassine en cuivre également. Cependant il est particulièrement fier du chapelet en bois de santal qu’il égrène, passe sur son visage pour en humer l’odeur. »

Tayeb Salih, Saison de la migration vers le nord, Babel, 1969, pp. 75-76.

Wawa, guesthouse. Est-il possible de trouver meilleur endroit poiur se replonger dans le Loup des Steppes?
Dal
Sedeinga

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