
De la Caspienne aux Monts Célestes
De la Caspienne aux Monts Célestes 3000 kilomètres à travers le Kazakhstan 13 octobre 2022, à la poursuite du temps perdu Après avoir arpenté l’extrême
Note aux lectrices et aux lecteurs : cet article fait de nombreuses références au peuple Saka, qui parcourait les steppes d’Asie centrale durant le premier millénaire avant notre ère. Pour vous rafraichir la mémoire, vous pourrez trouver plus d’informations à ce sujet dans notre article sur Bishkek.
Notre périple de trois mois en Asie centrale s’achève avec une semaine de roadtrip et de bivouac à travers les régions d’Almaty et de Jetisu, qui recèlent de trésors naturels et archéologiques. Après avoir réceptionné notre voiture de location, nous quittons Almaty par une radieuse journée d’octobre, laissant les sommets enneigés des Tian Shan derrière nous. Notre première étape dans ce nouveau périple se trouve à Tamgaly Tas, un site fameux pour ses gravures rupestres. Il est localisé au bord de la rivière Ili, quelques kilomètres à l’aval du grand réservoir de Kapchagari. Un cadre extraordinaire pour laisser l’esprit vagabonder dans le passé : les gorges abruptes au milieu desquelles passe la rivière s’ouvrent soudain à travers un immense plateau steppique, rompant la monotonie du terrain de ses étranges formations géologiques et de ses méandres bleutés pourvoyeurs de vie. Nous montons le camp au sommet des gorges sur le point de rupture de la steppe, exposé-e-s au vent violent qu’aucun obstacle n’arrête si ce n’est deux petits tumuli que nous n’avions initialement pas remarqués. Les tombes de guerriers Sakas probablement, ça nous fera de la compagnie pendant la nuit. Nous sommes en outre gratifiés de la visite d’un renard corsac (une espèce asiatique), qui se montre très intéressé par le doux fumet s’échappant de la casserole qui mijote sur notre réchaud. Il reste la soirée à tourner autour du camp, nous fixant de ses yeux rouges et sa longue queue blanche et touffue nous signalant ses mouvements dans la pénombre.
Nous descendons visiter le site de bon matin, où nous avons la surprise de découvrir un grand camping au pied des falaises. La roche est belle ici et si elle a longtemps constitué une invitation à la gravure, elle est devenue depuis quelques décennies une invitation à l’escalade. Ce qu’il y a d’étonnant sur ce site, en plus des habituelles gravures d’époque Saka de l’âge du Fer (ou Andronovo de l’âge du Bronze), c’est la présence de gravures bouddhistes beaucoup plus récentes. Elles ont été réalisées par des moines tibétains durant l’époque dzoungare (1634-1756), qui parcouraient alors cette branche septentrionale des routes de la soie reliant les Monts Célestes à la Sibérie. Les représentations imposantes de Bouddha gravées sur de gros blocs sont le fruit d’artistes aguerris, maîtrisant parfaitement les canons de leur art. Elles font de cette étape un lieu saint et un ensemble unique en Asie centrale. Après la région de Termez dans le sud de l’Ouzbékistan où nous avions visité les ruines de monastères bouddhistes vieux de près deux millénaires, c’est ici la seconde fois que nous croisons les traces de moines bouddhistes si loin de leur berceau.
Ils ont laissé de nombreuses inscriptions de mantras en tibétain, les mêmes que nous ne tarderons pas à découvrir par milliers dans l’Himalaya. Aujourd’hui Tamgaly Tas est devenu l’un des hauts lieux de la varappe en Asie centrale. Le lieu continue d’attirer les pèlerins du monde entier qui viennent s’y mesurer lors de compétitions, prendre des cours ou simplement s’adonner à leur passion du rocher. Les cieux ne sont plus atteints par la prière et la dévotion mais par la traction ; la finalité du lieu perdure. Au bord de la rivière quelques arbres rougeoient, offrant un peu de couleur à ce paysage steppique. Entre les falaises et la rivière se trouvent encore quelques tumuli aux dimensions massives, l’un d’entre eux éventré par une tranchée remblayée qui signale le passage des archéologues. Difficile d’imaginer plus bel endroit pour organiser une fouille-école.
Nous gagnons ensuite le village de Bachi situé à l’entrée du parc national d’Altyn Emel, où nous devons obtenir des permis pour entrer dans le parc. On profite des dernières heures du jour pour rouler les 70 kilomètres nous séparant du cœur du parc : les montagnes d’Aktau. Le campement est pratiquement désert, nous passons la soirée à compter les étoiles filantes d’un ciel sans lune et sans nuage tout en gouttant des vins kazakhs. Nous ne le savions pas encore, mais ce serait notre dernière nuit sous tente.
Le soleil se lève sur un paysage minéral composé d’infinies nuances d’ocre, de jaune et de blanc qui strient les montagnes environnantes. Si nous avions marché sur la lune à Bozhyra dans l’ouest du pays, c’est ici sur Mars que nous avons atterri ; la géologie a encore décidé de faire de la poésie. Nous remontons un lit de rivière asséché pour arriver au cœur de montagnes arides et érodées. Dans le sable au sol scintillent des petits cailloux de toutes les couleurs, témoins des formations géologiques très différentes qui ont contribué à façonner le paysage. Du sommet d’une arrête rocheuse vertigineuses’ouvre une vue imprenable sur les canyons environnants, on se sent pour la seconde fois depuis que nous sommes au Kazakhstan comme des cosmonautes. Au diable Baïkonour et ses fusées.
Un vent violent se lève pendant que nous rentrons au camp. L’horizon se charge de nuages de pluie, n’augurant rien de bon pour notre bivouac du soir. Quand nous arrivons, la tente ploie déjà sous les assauts du vent et se remplit d’un sable fin soufflé à travers les moustiquaires. Difficile de passer la nuit dans ces conditions, il nous faut lever le camp. Le bivouac n’étant autorisé qu’à certains endroits définis, nous décidons de tenter notre chance à un second emplacement plus éloigné des montagnes. Nous y découvrons un campement abrité par un immense peuplier vieux de plus de 700 ans, offrant une protection de ses branches rampantes et noueuses toutes aussi épaisses que des troncs. L’emplacement est cautionné par la légende, qui dit que Gengis Khan s’y serait arrêté avec son armée pour profiter de la source qui y jaillit. Hélas, n’étant pas autant aguerri que les combattants mongoles, nous décidons finalement de retourner au village de Bachi pour trouver un abri plus solide contre la tempête qui se fait de plus en plus violente. Nous trouvons un hébergement sommaire auprès d’une famille paysanne, qui loue quelques chambres pour compléter son maigre revenu. Elle nous accueille tout sourire avec un saladier rempli de pommes du jardin.
Le vent retombe en même temps que chute la température, qui devient glaciale. Nous repartons malgré tout en expédition dans la partie ouest du parc, où se trouvent des dunes célèbres pour leur étrange pouvoir : elles chantent. Notre périple se transforme rapidement en safari : gazelles de Perse (une espèce autrefois en voie d’extinction, plus de 5000 vivent aujourd’hui dans la région), vautours, chameaux, puis kulans turcomans, une espèce de chevaux sauvages sortie du fond des âges. Cette dernière peuplait autrefois la majeure partie de l’Asie centrale, elle a presque entièrement été exterminée au cours du 20ème siècle. La race kazakhe n’ayant pas survécu, c’est la race turcomane qui est à l’origine du repeuplement asiatique. Et c’est ici, dans le parc d’Altyn Emel, que cette espèce a été réintroduite en premier au Kazakhstan. Avec plus de 3000 individus, il s’agit aujourd’hui de la plus grande population de kulans au monde.
Leur ligne dorsale sombre et leurs flancs clairs couleur crème évoquent les chevaux préhistoriques peints sur les parois des cavernes européennes il y a des dizaines de millénaires, pendant l’ère glaciaire. Ils nous fixent de manière craintive, leurs oreilles dressées et leur visage allongé comme des totems, avant de disparaître dans la steppe au galop. Bien que les kulans ressemblent physiquement plus à des ânes qu’à des chevaux, ils sont génétiquement plus proches de ces derniers. Cette ressemblance leur vaut parfois le surnom de « semi-ânes », faisant d’eux pour les équidés ce que les hobbits sont aux humains. Les kulans partagent également ces terres avec les chevaux sauvages de Prjevalski, autre espèce en voie d’extinction et au plus proche de celles qui peuplaient l’Europe durant la dernière glaciation. Ce paysage entièrement ouvert permet parfois de repérer les animaux à plusieurs kilomètres de distance, leur passage soulevant un léger nuage de poussière. Mais de si loin, impossible de dissocier un kulan d’un cheval de Prjevalski, et donc de savoir si nous avons observé cette espèce mythique.
Plus en avant sur la route des dunes apparaissent trois pierres dressées imposantes. Elles remontent vraisemblablement à l’époque Saka, durant laquelle ce genre de pratique mégalithique était commune. Toutefois, les légendes locales essaient une fois de plus de les mettre en corrélation avec le passage de Gengis Khan et de son armée. Ici, ils auraient utilisé ce dispositif pour y poser un immense chaudron en bronze et faire la cuisine pour les soldats affamés. L’histoire est séduisante mais dans les faits, Gengis Khan n’a vraisemblablement jamais parcouru la région de Jetisu. C’était l’un de ses commandants qui y était passé à la tête de ses troupes. Entre les stèles et les dunes se trouvent encore une petite oasis qui a fait l’objet d’une description dans le récit de Shokan Valikhanov, un protagoniste du Grand Jeu employé par les Russes (à ce sujet, consulter notre article sur Boukhara) qui avait traversé la région en 1858 pour se rendre en Kashgarie, dans le désert du Taklamakan. Il s’était fait passer pour un marchand originaire de la vallée du Fergana, voyageant sous un nom d’emprunt.
L’oasis est dominée par les premières dunes, qui marquent le départ d’un cordon long de plusieurs kilomètres serpentant jusqu’à la rivière Ili. Ces dunes formées il y a près de 5000 ans ont nourri de nombreuses légendes en raison de l’étrange bruissement qu’elles émettent, qui leur a valu ce nom poétique de « dunes chantantes ». Leur ronron qui rappelle concrètement plutôt le bruit d’un moteur d’avion qu’un chant mélodieux serait dû à la friction entre deux strates de sable de densité différente, plus ou moins compactes ou plus ou moins sèches ou humides. Les légendes locales y placent la tombe de Gengis Khan (on vous l’aurait donné en mille), ou un piège dans lequel Allah aurait enfermé Satan et dont s’échapperaient parfois ses gémissements. Si nos oreilles grandes ouvertes n’ont malheureusement pas réussi à y percevoir de son, nous n’avons pas moins erré comme des funambules sur leur fil, contemplant les couronnes enneigées des montagnes environnantes et admirant la perfection de ce pays de contraste.
La pluie incessante et la chute de la température nous obligent à revoir notre programme à la baisse et à définitivement abandonner l’idée de bivouaquer. On a toujours tendance à s’imaginer les déserts coiffés d’un ciel bleu et brûlés par un soleil impitoyable, c’est d’ailleurs pratiquement leur seule facette véhiculée par les photographies de voyage. Et pourtant pourquoi cette région déjà cernée par l’automne kazakh serait-elle épargnée par la rigueur du climat ? Pourquoi ne pas avoir envisagé la possibilité de voir tomber des flocons au milieu du désert ou de voir des nuages noirs s’amonceler sur un paysage qui semble ne plus jamais avoir étanché sa soif depuis la disparition des dinosaures ? Partant en direction de la frontière chinoise, nous nous trompons de route et nous retrouvons propulsés sur une autoroute déserte, dont la prochaine sortie se trouve seulement plus de 100 kilomètres plus loin. Un bête trajet « Chaux-de-Fonds – Le Locle » ou « Sion – St-Léonard » à l’échelle démesurée du Kazakhstan, mais notre réservoir dont l’aiguille commence à baisser dangereusement sur le tableau de bord ne nous permettra pas d’arriver si loin. Nous effectuons donc un retour sur route à la première occasion, après avoir vérifié qu’aucune caméra et qu’aucun véhicule n’étaient visible à l’horizon (heureusement, au milieu de la steppe c’est facile). Comme beaucoup de Russes en fuite, nous échouons dans la petite ville de Shonzhy. Aussi nous faut-il faire tous les hébergements sous une pluie battante avant de finalement mettre la main sur une chambre de libre.
La partie orientale de la région d’Almaty est célèbre pour ses canyons dont le plus imposant, celui de Sharyn, est souvent comparé à son pendant américain dans le Colorado. Nous menons quelques expéditions quand le temps le permet, regagnant l’abri de notre auberge à chaque fois que la tempête reprend. Les routes sont bordées de temps à autre par un tumulus solitaire, les Monts Célestes barrant l’horizon au sud de leurs cimes enneigées. Nous surprenons encore quelques gazelles et vautours et nous retrouvons seuls au monde à visiter le canyon de Tamerlik, entre des saules et des peupliers au feuillage chatoyant. La partie la plus impressionnante du canyon de Sharyn a été baptisée la « vallée des châteaux » en raison de formations géologiques fantaisistes qui se détachent de ses falaises. Elles avancent dans le vide leurs tours et leurs donjons, sculptés par les mains du temps et polies par une rivière disparue. À ce niveau le canyon atteint par endroit une profondeur de 300 mètres, véritable rupture de steppe dans cet environnement plat et désert.
Avant de rejoindre Almaty, nous opérons un dernier arrêt dans la petite ville d’Iessik au pied des Monts Célestes, où se trouve une immense nécropole tumulaire d’époque Saka, l’une des plus importantes d’Asie centrale. La nécropole remonte au milieu du premier millénaire avant notre ère et comprend des dizaines de tumuli dont certains atteignent plus de 60 mètres de diamètre et 6 mètres de hauteur. Si beaucoup de ses tombes ont déjà été pillées dans l’Antiquité, les fouilles archéologiques ont néanmoins permis quelques découvertes spectaculaires, la plus emblématique étant celle en 1969 d’une armure de style cataphractaire réalisée avec des plaques en or. Cet objet unique dans l’histoire de l’archéologie valu à son (ou sa ?) propriétaire le surnom d’ « homme doré ». Plus qu’une armure c’est un symbole, car l’or étant un métal tendre, elle ne pouvait être fonctionnelle. Elle appartenait à un prince Saka qui vécut au 3-2ème siècle avant notre ère et dont la tombe contenait plus de 4000 objets en or, de quoi faire rougir Toutankhamon.
Pièces d’orfèvrerie découvertes dans des tombes Sakas exposées au musée d’Almaty et l'”homme d’or”, photo de Derzsi Elekes Andor (source).
Parmi les autres artefacts mis au jour sur la nécropole est apparue une coupe en argent portant une inscription en alphabet karotshi, un alphasyllabaire habituellement employé pour écrire le sanskrit ou le gandharien à cette époque, dans la région de l’actuel Pakistan. Cette inscription* constitue l’un des rares témoignages écrits de ces peuples nomades de langue iranienne (Scythes, Sakas, Sarmates). Il s’agirait ici d’un dialecte « sace-khotanais » qui était alors parlé par les populations peuplant les oasis du Taklamakan, au sud des Monts Célestes, et qui sont à l’origine de l’empire Kushan (à ce sujet, voir cet article). Pour résumer, c’est une coupe portant une inscription de langue iranienne alors parlée dans le désert du Taklmakan, rédigée au moyen d’une écriture d’origine indienne et retrouvée au nord des Monts Célestes. Nous nageons déjà au beau milieu de la problématique des routes de la soie.
* Interprétation de l’inscription : « la coupe devrait contenir du vin de raisins, de la nourriture cuisinée supplémentaire en quantité pour le mortel, puis du beurre frais ajouté » (source) Une autre interprétation plus récente en fait une toute autre interprétation et transcription. Selon cette dernière, il s’agirait d’une inscription votive de langue turcique écrite en runes. Nous avons toutefois décidé de ne pas la retenir dans la mesure où les premiers témoignages d’écriture runique turco-mongole n’apparaissent que 1000 ans plus tard, ainsi que parce qu’il est communément admis que le peuple Saka parlait une langue iranienne. Mais qui sait, peut-être de nouveaux travaux seront-ils en mesure d’apporter un meilleur éclairage sur cette question passionnante.
Le même mélange de script et de langue avait notamment été documenté dans les fameuses grottes de Dunhuang** dans le Taklamakan, où il était utilisé pour la traduction d’œuvres bouddhistes dans la langue locale. Dans un même ordre d’idée en Europe, on pourrait mentionner l’existence de sceaux en ambre retrouvés en Bavière sur un site de l’âge du Bronze (Bernstorf), et sur lesquels auraient été gravées des inscriptions en linéaire-B, l’écriture syllabaire mise au point par la civilisation mycénienne (de langue grecque) il y a 3500 ans. Si cette interprétation est correcte (source), on verrait donc une matière première acheminée depuis la mer Baltique jusqu’au Péloponnèse (jusque-là rien de nouveau), puis retournée jusqu’au nord des Alpes, peut-être comme part d’un cadeau diplomatique.
** Les grottes sacrées de Dunhuang constituent un lieu central dans l’histoire de l’archéologie des routes de la soie. C’est là qu’a été découverte l’une des plus grandes collections de manuscrits anciens au monde, offrant des quantités d’informations inédites sur des religions disparues comme le manichéisme ou encore le nestorianisme, une ancienne branche dissidente du christianisme.
Les routes de la soie constituent au final l’archétype de la globalisation et de la mise en relation des différentes sociétés passées pour l’acheminement de matériaux rares, inégalement répartis. Cela vaut en particulier pour la soie, l’étain (peut-être un métal encore plus recherché que l’or en raison de sa rareté et de son indispensabilité dans la confection du bronze, un mélange constitué en moyenne de 90% de cuivre et de 10% d’étain), les lapis lazuli d’Afghanistan, l’ambre de la mer baltique, le sel, ou même les roches vertes alpines durant le Néolithique. Devant ce modèle asiatique d’échanges protohistoriques, on ne résiste pas à la tentation de tirer quelques liens avec le Premier âge du Fer en Europe, la période dite « hallstattienne ». Car il existe véritablement à cette époque une version européenne des routes de la soie, les routes du Lassois*. Certes, le fait que les proto-Celtes d’Europe aient été sédentaires alors que les Sakas étaient nomades constitue une différence essentielle, mais plusieurs éléments méritent d’être mis en évidence.
*Jeu de mot pour spécialistes inspiré par l’un des sites majeurs de l’archéologie du Premier âge du Fer européen localisé en Côte d’Or en France au sommet du Mont Lassois (Vix).
Tout d’abord le contexte est similaire : une peuplade barbare (au sens grec du terme) occupe des contrées hostiles situées à la périphérie septentrionale du monde connu et « civilisé », par-delà de hautes rangées de montagnes. Si ces peuples n’utilisaient habituellement pas l’écriture, ils font tous deux leur entrée dans l’histoire vers le milieu du dernier millénaire avant notre ère au moyen d’autres peuples avec qui ils avaient affaire et qui, eux, écrivaient. Dans le cas de l’Europe, ces questions d’échanges et d’acheminement de matériaux rares ont été à l’origine d’une importante complexification sociale entre le début du 6ème et le milieu du 5ème siècle avant notre ère. Trois routes principales en ont été le moteur : le Rhône pour les Grecs de Phocée venus fonder Massalia (Marseille) vers 600 av. n. è., les cols alpins (en particulier à travers le Tessin) pour les Étrusques d’Italie, et certainement le Danube pour les Grecs installés sur le pourtour de la mer Noire. Cela a engendré une hiérarchisation plus marquée de la société, ses élites qualifiées de « princières » servant dès lors d’intermédiaires entre les lointaines régions nordiques d’où étaient acheminés l’étain (de Bretagne et surtout de Cornouaille) et l’ambre baltique vers la Méditerranée. Ce moment clé de la protohistoire européenne se voit également marqué par l’apparition des toutes premières villes au nord des Alpes, le nom d’une d’elles étant rentré dans l’Histoire grâce au géographe et historien grec Hérodote : Pyrène. Cette ville disparue est aujourd’hui communément associée au site princier de la Heuneburg près des sources du Danube, non loin au nord du lac de Constance.
Les Sakas, comme les communautés hallstattiennes d’Europe centrale, enterraient leurs élites dans de vastes nécropoles sous des tumuli aux dimensions parfois spectaculaires. En Europe, ces tombes livrent aux côtés des plus beaux fleurons de l’artisanat local (céramique, orfèvrerie) des importations d’une qualité extraordinaire (grecques et étrusques en particulier). Les tombes de la « Dame de Vix » (précisément au pied du Mont Lassois), de Hochdorf (Bade-Wurtemberg) ou de Lavau (Aube) en constituent les archétypes. La première a livré le plus grand cratère à vin en bronze de toute l’Antiquité (d’une hauteur de 160 cm et d’une capacité de plus de 1000 litres !), confectionné dans un atelier à Tarente, une cité grecque de l’extrême sud de l’Italie. La tombe de Hochdorf, d’une richesse incroyable, permet quant à elle de boucler la boucle entre les routes du Lassois et les routes de la soie : la dépouille du défunt y était enveloppée dans un drap en soie qui ne peut être originaire… que de Chine ! En Suisse, on mentionnera les nécropoles princières du Schaltenrain dans le canton de Berne ou d’Unterlunkhofen dans le canton d’Argovie, ainsi qu’un tumulus d’un diamètre de 90 mètres caché dans le bois de Moncor dans le canton de Fribourg, jamais exploré. Le mouvement et les échanges intrinsèquement liés à l’existence de ces routes ont toujours constitué un prodigieux moteur de complexification sociétale. Aussi est-ce plaisant d’imaginer des caravanes d’un autre genre, sans caravansérail et sans dromadaire, circulant de la Méditerranée à la Scandinavie et à l’Angleterre durant le dernier millénaire avant notre ère.
Cratère de Vix au Musée du Pays Chatillonais (source)
Un archéologue en herbe lors de sa première campagne de fouille au mont Lassois, de visite au Musée du Pays Chatillonais en 2013
Après une semaine de météo capricieuse, nous voici de retour à Almaty sous un ciel radieux. Ne nous reste plus qu’à faire quelques courses de dernière minute, rendre la voiture et sauter dans un taxi pour l’aéroport. Plus facile à dire qu’à faire : nous arrivons à Almaty à l’heure de pointe et le temps nous est compté. Le challenge est relevé, nous entrons en ville au rythme des milliers de pendulaires encombrant les artères principales, trouvons une place de parc dans une ruelle et faisons nos achats dans un temps record. Après avoir foulé des centaines de kilomètres de chemins rocailleux, nos fidèles chaussures de trail sont fatiguées et déclarent implicitement forfait aux dénivelés himalayens à venir, de même que le chargeur de notre ordinateur a rendu l’âme et qu’aucun magasin de province n’a pu fournir la pièce de rechange nécessaire. Heureusement Almaty est une grande ville et l’on y trouve de tout très rapidement ! Enfin, après une semaine de steppe, de ruelles villageoises étroites et boueuses et d’avenues bouchonneuses, c’est avec un certain soulagement que nous récupérons la caution de la voiture intacte. Le cœur léger mais les sacs lourds et un brin de nostalgie dans l’âme, nous prenons le chemin de l’aéroport. Il est temps de passer de l’Asie centrale au sous-continent indien.
De la Caspienne aux Monts Célestes 3000 kilomètres à travers le Kazakhstan 13 octobre 2022, à la poursuite du temps perdu Après avoir arpenté l’extrême
Kathmandou et la vallée des temples Changement de plaque L’Himalaya se dresse telle une immense barrière naturelle entre le vide et le plein, entre le