
La vanille, cette fleur dont l’odeur rend fou
Le marché à Sambava, après la pluie L’arrivée à l’aéroport de Sambava, à l’extrémité nord-est de l’île de Madagascar, laisse une forte impression. À terre,
Août 2018, alors que l’on prépare le terrain pour la fouille à quelque distance du hameau d’Amborolana, près de Farahalana, une grande cérémonie a lieu non loin, dans les marigots qui séparent la terre ferme des puissants rouleaux de l’Océan indien. C’est une divinité locale qui est à l’honneur, nGamamela, dont le tombeau se trouverait à proximité et autour duquel se fait encore aujourd’hui enterrer le clan local. Piqués par la curiosité, on s’y rend avec Jean-Aimé, un ancien professeur de l’université de Tananarive et Walker, un jeune collègue originaire de la région.
À notre arrivée, le zébu vient d’être sacrifié. La viande est religieusement découpée puis partagée selon des règles strictes respectant la structure sociale du clan. L’emplacement sacré de la cérémonie est marqué par un grand pieux sur lequel sont fixés les bucranes des zébus sacrifiés lors des précédents rituels, il est remplacé génération après génération quand le bois ne tient plus. Au pied de cet emblème clanique, un petit autel constitué d’une simple dalle de pierre sur laquelle sont disposés dans des feuilles de palmier du sucre de canne, une pièce de monnaie et du rhum. Un groupe d’hommes joue une musique très rythmée ponctuées de brefs arrêts. En lieu et place de tambours et de maracas, des bidons d’huile en plastique et des boîtes de conserve en aluminium. Selon Jean-Aimé, les tambours étaient confectionnés avec le plus grand soin jusqu’à récemment et rien que l’action consistant à le décrocher du coin sud de la maison où il était habituellement rangé faisait partie du rituel. Même jusqu’en ces terres isolées, la globalisation fait des ravages. La maîtresse de cérémonie danse, tout le monde chante et frappe des mains, le rhum coule à flot. Elle entre doucement en état de trance, jusqu’à ce qu’un des esprits des Ancêtres s’empare de son corps : yeux révulsés, convulsions extatiques.
C’est une cérémonie coûteuse, dont la fonction est de garder le clan uni. Les femmes portent des robes de cérémonie très colorées, dont les motifs montrent une certaine affinité avec ceux des étoffes arabes. Réminiscence d’un lointain passé « rakash » ? Quant au personnage mythologique du clan, dont le tombeau est bien visible, Jean-Aimé pense y voir une origine de la côte est africaine, swahilie. Cette cérémonie reflète bien les composantes très variées qui constituent le paysage culturel malagasy : les merinas d’origine austronésienne, les arabes dont l’arrivée remonte au Moyen Âge, qui a elle-même généré l’arrivée de milliers d’esclaves originaires d’Afrique de l’est, avant de céder le terrain aux Portugais puis au Français. Les appartenances ethniques sont donc extrêmement diverses, et si c’est aujourd’hui le christianisme qui tient lieu de religion officielle, celui-ci reste profondément empreint d’animisme. Par ailleurs, la langue malagasy fait partie du groupe des langues austronésiennes, ce qui indique un fort afflux démographique originaire d’Indonésie probablement autour du 10e siècle, plusieurs siècles avant l’arrivée des premiers européens. Cette anecdote rejoint clairement le palmarès des plus curieuses de la fabuleuse épopée humaine. Remarque, Madagascar est particulièrement généreuse en anecdotes curieuses.
Cet animisme qui imprègne toute la vie quotidienne à Madagascar, nous nous y sommes déjà retrouvés confrontés à plusieurs reprises. En effet, quoi de plus délicat que d’ouvrir le ventre de la terre pour faire resurgir des choses du passé ? Pour ne pas subir le courroux des esprits des anciens et éviter de mettre en danger les populations locales, il est indispensable de réaliser un certain nombre de rituels avant toute nouvelle opération archéologique. C’est toujours l’aîné du village le plus proche qui doit les accomplir, au milieu d’une une foule de curieux. Celui que nous avons effectué la veille mérite d’être rapporté, tant il est symptomatique des aventures à Madagascar.
Nous nous rendons à Amboronala pour parler avec le propriétaire du terrain et, formidable signe du destin, il nous apprend que son père, actuellement l’aîné du village, avait servi de guide à Pierre Verin, seul archéologue* à avoir parcouru et étudié cette région près de 60 années avant notre mission. Nous faisons tous les préparatifs, puis nous nous rendons sur le site, à 15 sur un pick-up entre des collines verdoyantes de palmiers. Une fois sur place, le fils de l’aîné, qui a visiblement un penchant marqué pour la bouteille et n’a montré d’intérêt que pour le rhum destiné aux libations, nous informe qu’il a oublié de nous prévenir qu’il fallait du miel aussi. Sans le miel, impossible de mener le rituel à bien. On s’en retourne donc précipitamment chercher du miel dans le village le plus proche. Heureusement, nous arrivons avec le précieux nectar avant que le soleil ne soit trop haut dans le ciel, sans quoi nous aurions dû repousser la cérémonie et le début des travaux au lendemain. L’aîné prononce quelques paroles, puis verse un verre de rhum sur le sol, fait un petit trou et enfouit un billet et certaines herbes cueillies pour l’occasion. Une fois le rite accompli, chacune et chacun se mouille les mains et la tête avec un peu de rhum, puis s’en sert une généreuse rasade pour s’attirer la bienveillance des esprits tutélaires. Les badauds amènent souvent un rhum de fabrication locale dans des jerrycans, afin qu’il y en ait assez pour tout le monde. Ainsi, les travaux ont souvent de la peine à démarrer directement à la suite de la cérémonie d’ouverture.
*Pierre Verin, archéologue et anthropologue français, 1934-2010.
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