Samarcande, capitale de Tamerlan

D'un tyran à l'autre

Pour comprendre l’Ouzbékistan d’aujourd’hui, il faut revenir sur un personnage qui a durablement marqué l’Histoire et qui a été investi d’une grande puissance symbolique dans la légitimation de l’état ouzbek moderne : Tamerlan (1370 – 1405). Enfin, c’est l’un des nombreux noms qui lui a été donné, parmi lesquels on retrouve aussi Timur le Boîteux, Amir Timur ou encore Amir al-Kébir. Son nom est visible partout à travers le pays: dans les rues, sur les bâtiments, ses statues trônent dans les parcs et sur les places publiques. Un passage au musée national des Timourides (nom de la dynastie fondée par Tamerlan) à Tashkent nous permet de plonger dans l’histoire du personnage, et de mieux comprendre la manière dont il a été instrumentalisé par le régime d’Islam Karimov (1938 – 2016), ancien président du pays (dont nous parlons brièvement dans l’article précédent)

Timur, ou la quête d’origine de l’état ouzbek

Sous l’immense coupole couvrant le musée, c’est un véritable culte qui est voué au héros national. L’intérieur est organisé autour d’une grande fresque racontant un épisode de la vie de Timur. La coupole, au milieu de laquelle pend un immense lustre, est ornée de milliers de motifs géométriques et de dorures. La première chose qui saute aux yeux, c’est que Karimov se revendique comme l’héritier spirituel de Timur en tant que chef d’état. Il est allé jusqu’à insérer des citations vieilles de plus de 500 ans dans la constitution ouzbèke, et opère de nombreuses comparaisons entre la période timouride et aujourd’hui. Comme dans bien d’autres musées que nous aurons l’occasion de visiter dans le reste du pays, partout des citations d’auteurs du monde entier sont utilisées pour glorifier Timur et assoir la légitimité nationale. Le problème, c’est que seules sont conservées les citations parlant de Timur comme d’un grand conquérant, d’un fondateur d’empire et d’un législateur, en omettant soigneusement l’essentiel de l’histoire. Un exemple parmi tant d’autres, on y lit une citation de « L’Empire des Steppes » de René Grousset (1939), un ouvrage monolithique aujourd’hui encore considéré comme une référence incontournable pour l’étude des peuples nomades d’Asie centrale, dans laquelle Timur est décrit comme un incroyable stratège et organisateur d’état. Mais bien sûr, pas un mot sur une autre phrase percutante que l’on retrouve dans les mêmes pages, qui raconte comment « (Timur) représente la synthèse qui manquait sans doute à l’histoire de la barbarie mongole (sous-entendu Gengis Khan bien sûr) et du fanatisme musulman, et cette étape supérieure du besoin ancestral du meurtre qu’est le meurtre au service d’une idéologie abstraite, par devoir et missions sacrées ». Bref, un véritable délire mégalomaniaque mis au service d’un régime à la main de fer. Un « mythe national » auquel les autres pays du monde se réfèrent sous le nom de « catastrophe timouride ».

Une citation d’Islam Karimov assez éclairante au sujet de ce que doit être le sentiment patriotique, dans le musée national des Timourides (source)
Et Amir Timur en personne grâce à une reconstitution disponible sur l’application NazzAr (ils l’ont fait)

Revenons donc sur l’histoire du personnage afin de mieux cerner la catastrophe : Timur est né en 1336 à Shahrisabz, une petite ville située au sud de Samarcande et autrefois nommée Kesh. Il a conquis la majeure partie de l’Asie centrale et fondé la puissante dynastie des Timourides dans les années 1360-1370, dont il a placé la capitale à Samarcande. Il a fait preuve dans chacune de ses guerres de conquête d’une violence incroyable, n’hésitant pas à passer par le fil de l’épée la population de villes entières. On retient dans l’imagerie populaire ses macabres pyramides de têtes coupées, notamment à Ispahan ou lors des nettoyages ethniques auxquels il a procédé dans la région de l’Indus. Quand il n’était pas certain de réussir à garder le contrôle sur une région, il procédait à des « exterminations préventives » : en plus d’être un fin stratège, c’était un homme prudent voyez-vous. Il a ravagé Dehli, Bagdad, Damas, Alep, Ispahan, Éphèse, Smyrne. Il est allé jusqu’à défaire l’armée du sultan ottoman Bayezid en 1402, ce qui a vraisemblablement contribué à retarder la chute de Constantinople et de l’Empire byzantin d’un demi-siècle ! Il a sévi en Géorgie aussi, où il s’est donné beaucoup de peine pour détruire toutes les églises, en particulier à Tiflis.

Expansion de l’empire timouride à son maximum (en gris sur la carte). Source

J’ouvre une rapide parenthèse pour émettre une hypothèse personnelle : Joseph Staline, qui était d’origine géorgienne, avait fait toutes ses études à Tiflis. L’on pourrait se demander s’il n’avait pas un peu de sang timouride dans les veines, à moins que son comportement n’ait été dû à un désir de vengeance profondément ancré dans la génétique familiale, ça expliquerait bien des choses.  Bref, les anecdotes quant au degré de raffinement de la cruauté de l’Amir Timur sont légion. On vous les épargnera, en se contentant de dire que ses campagnes militaires ont coûté la vie à plusieurs millions de personnes (certaines estimations parlent de 17 millions !). Ou, autrement dit, il aurait exterminé dans les 5% de la population mondiale au 14ème siècle, dans une Eurasie déjà terriblement dépeuplée par la peste noire et la folie meurtrière de Gengis Khan, un peu plus d’un siècle plus tôt. Seuls les artisans échappaient au massacre et étaient convoyés vers Samarcande,  dont ils ont contribué à faire l’une des plus belles villes de l’époque. Timur a enfin fini par rendre un grand service à l’humanité en mourant en 1405 au Kazakhstan. Il a légué un empire immense à sa descendance, qui s’étendait du Croissant Fertile à l’Indus, de la steppe à la mer d’Arabie. Voilà le topo, en sortant du musée, en réunissant les souvenirs de l’ « Empire des Steppes » et en faisant quelques vérifications sur internet. L’image du héros national est en souffrance.

Le sommet de Shanghai

Notre départ pour Samarcande a dû être retardé de quelques jours, puisque s’y tenait cette année le sommet de Shanghai, du 15 au 16 septembre. Tous les grands pontes de la politique asiatique s’y sont retrouvés avec en tête d’affiche Vladimir Poutine et Xi Jinping, deux personnages cadrant parfaitement dans la capitale timouride. Y figuraient aussi les présidents tadjiks et kirghizes, qui ont échangé de belles promesses de paix alors que les bombes continuaient de pleuvoir sur le Fergana (voir l’épilogue de notre article sur le Pamir). En cheminant en taxi de la gare de Samarcande vers le centre-ville, nous croisons un cortège interminable de bus transportant les militaires affectés ces derniers jours à la sécurité du sommet. « Ils étaient 12’000, ils sont venus de tout le pays ! » nous raconte notre chauffeur Misha, un sympathique bonhomme replet et moustachu d’une soixantaine d’années qui nous servira de guide pour les jours à venir. Quelle escorte tout de même, pour une poignée de présidents et de diplomates. Pendant ces quelques jours, les avenues principales étaient fermées, de même que les magasins, les musées et les monuments. Les gens n’étaient pratiquement plus autorisés à quitter leur domicile. Pour l’occasion, la ville a été apprêtée avec le plus grand soin : plusieurs nouvelles routes ont été goudronnées, les parcs ont été jardinés au millimètre et un immense hôtel de luxe a été ouvert pour les participants.  L’avantage en arrivant à ce moment (chose que nous n’avions aucunement planifiée), c’est que les monuments sont presque déserts, la plupart des touristes ayant décidé de repousser leur voyage.

La ville a fait l’objet d’un grand soin à l’occasion du sommet. Source ambassade ouzbèke en Chine

Samarcande, une rêverie orientale

Fait curieux, je vais visiter une ville dont je ne sais rien que la magie de son nom.

Et maintenant, promène ton regard sur Samarcande !
N'est-elle pas reine de la terre ? Fière, au-dessus de toutes les villes, et dans ses mains leurs destinées.

"Triomphe" par Vasily Vereshchagin, 1872. La scène, en plus d'enrichir l'imaginaire des voyageurs, représente également toute la violence qui a régné au sein du pays depuis des siècles. Ici, l'émir du Khanate de Boukhara et des notables observent des têtes empalées de soldats russes

Samarcande est un nom de légende. Dans mon inconscient d’adolescent, il avait une sonorité française à la connotation magique, comme Brocéliande peut-être. Et  comme Ispahan, il était nimbé de l’aura mystérieuse des routes de la soie. Une aura densifiée par le fait que ces deux villes étaient pour moi des utopies au sens propre : j’aurais été bien en difficulté de les placer précisément sur une carte de la vaste Asie, où l’on a tendance à oublier le Moyen-Orient au profit d’autres contrées plus populaires. Aussi quelle triste surprise en arrivant au cœur de Samarcande : les brumes du mythe sont immédiatement dissipées par la rugueuse réalité de la modernité. Car à part une série de mosquées, de madrasas et de mausolées, certes splendidement restaurés, il ne reste plus de vieille ville à proprement parler. La fameuse place du Registan (la « place sableuse »), sans doute la plus fameuse de tout le Moyen-Orient avec celle de Nagch-e Djahan à Ispahan en Iran (« Le Portrait du Monde »), n’a plus grand-chose de poussiéreux : loin les dromadaires, les ânes, les épices, les turbans, les robes traditionnelles, les caravanes, les cris et l’agitation de bazar. Il y règne aujourd’hui une ambiance aseptisée de commerce d’artisanat de luxe. Le parc qui l’entoure est une sorte de Disneyland traversé par une grande allée piétonne menant à l’immense mosquée de Bibi Khanum, le long de laquelle se succèdent échoppes de marque et restaurants chics. Plus rien à voir avec les clichés pris par Ella Maillart en 1932, que nous avions pu admirer au musée de Karakol et qui avaient offert un dernier sursis à mes fantasmes de jeune voyageur. Derrière cette grande vitrine touristique bordée de boulevards soviétiques, le bazar moderne et un labyrinthe de ruelles séparant de charmantes petites maisons dévoilent un visage plus authentique de Samarcande. Mais le décor est résolument contemporain, pas une miette de caravansérail, de fontaine, de hammam, de minaret, de colonnade, de moucharabieh ou même d’arabesque n’a survécu aux assauts du temps.

Samarcande. Répétez : Samarcande. Vous y êtes presque. Chuchotez maintenant : Samarcande.
Vous y êtes. Samarcande est l'une des villes du monde les plus visitées en songe.
A quoi bon y aller ? Son nom aimé dans son murmure vaut mieux que ce qu'elle est (devenue). C'est un nom-poème. Le redoublement sonore des «a», les délices des passages du s/c du a/an, sa finale évaporée, le balancement de ses syllabes, en font l'un des mots-villes du monde les mieux enchantés. Des trois villes «touristiques» de l'actuel Ouzbékistan, Boukhara est la plus secrète, Khiva la plus nickel, mais ces noms un rien barbare ne pèsent pas grand-chose devant la magie du vocable Samarcande, quels que soient les ravages effectués par le passé soviétique dans la ville chère aux princes timourides.

Samarcande et ses monuments

Une fois fait le deuil de ces naïves rêveries orientales d’adolescent, on se laisse forcément séduire par la beauté éblouissante des monuments de Samarcande. L’un des rares bâtiments de l’époque de Tamerlan à avoir traversé les siècles jusqu’à aujourd’hui est son mausolée (Gur Emir), où repose également la dépouille d’Ulugh Bek. Le bleu azur de son dôme et de ses façades contraste avec le rouge des rivières de sang qu’il a fait couler de son vivant. Sur son sarcophage de pierre il était écrit que le jour où son tombeau serait profané, une terrible calamité s’abattrait sur l’humanité. L’Histoire voulut que le lendemain du jour où une équipe d’archéologues soviétiques ouvra le sarcophage, le 22 juin 1941, l’Allemagne nazie déclara la guerre à la Russie (lors de la fameuse « opération Barbarossa », c’en est à se demander de quelle couleur était la barbe de Timur). La catastrophe timouride perdure, l’Amir al-Kébir tient ses promesses. Du point de vue architectural, il s’agit de l’un des premiers modèles qui déboucheront plus tard sur les mausolées de l’architecture moghole, dont le Taj Mahal.

L’autre principale attraction remontant à l’époque de Tamerlan, c’est la mosquée dédiée à sa seconde épouse, Bibi Khanum, une descendante de Gengis Khan. C’est l’une des plus grandes mosquées du 15ème siècle, et certainement le monument le plus imposant de tout Samarcande : elle pouvait abriter jusqu’à 10’000 fidèles. Tout le monde rapporte à ce sujet l’anecdote de Cherefeddin Ali Yazdi, historien et poète de la cour timouride, chantant les louanges de l’ouvrage : « Sa coupole serait unique si le ciel n’était pas sa réplique, il en serait de même pour son arc si la voie lactée n’était pas son fidèle reflet ». Sa construction avait poussé le gigantisme à la limite des capacités architecturales de l’époque, un projet rendu possible par les importants revenus générés par le sac de Dehli en 1399. Parmi l’immense main d’œuvre se trouvaient 95 éléphants fraichement rapportés d’Inde, le chantier avait pu être achevé en cinq ans à peine. Plus de six siècles après, nous y admirons les derniers rayons de soleil de l’été, qui percent à travers la petite fenêtre ouverte sous son dôme immense.

Si Samarcande était la capitale de l’empire timouride, c’est également le lieu de naissance d’Islam Karimov. Sans surprise il est encore très populaire dans la ville, et un grand parc lui est dédié juste à côté du Registan, comble de prétention. Pour faire plaisir à notre guide Misha, grand admirateur de l’ancien président (« He was a wonderful president, I met him several times »), nous acceptons d’aller visiter sa maison d’enfance, qui se trouve à un jet de pierre de là. Le gardien est surpris de nous voir débarquer, il n’est pas habitué à accueillir des touristes. Pour beaucoup d’Ouzbeks en revanche, cette modeste demeure est devenue un lieu de pèlerinage.

Ulugh Bek, un sultan éclairé

L’un des monuments les plus marquants de Samarcande, bien que peu spectaculaire, c’est l’observatoire astronomique d’Ulugh Bek. Ce dernier (1394-1449) était le petit-fils de Timur, et au contraire de son grand-père qui était obsédé par l’hémoglobine, c’était avant tout un savant entièrement dévoué à sa cause, qui a permis des avancées spectaculaires en termes d’observations astronomiques. Celles-ci avaient donc pu être réalisées au moyen de cet outil unique constitué d’une tour monumentale et d’un sextant semi-enterré de 64 mètres de diamètre. L’édifice avait été rasé par des intégristes* après l’assassinat d’Ulugh Bek par son propre fils, qui trouvait qu’il consacrait trop de temps à l’étude et au vin, et pas assez à la guerre et à la religion. Avant-gardiste dans son genre, il se serait fait des ennemis suite à des propos comme ceux-ci  “Les religions se dissipent comme le brouillard, les empires se démantèlent, mais les travaux des savants demeurent pour l’éternité”. Il a fallu attendre 1908 pour voir ses ruines réapparaître. Les tables d’astronomie que ce grand savant a légué au monde ont largement contribué  au développement de la discipline en Europe, où elles avaient été traduites en latin. Il a effectué grâce à son observatoire les mesures les plus précises de son temps, comme la durée d’une année à 365 jours, 6 heures, 10 minutes et 8 secondes, avec moins d’une minute d’erreur sur les mesures actuelles. Il avait aussi réussi à calculer l’inclinaison de l’axe terrestre.

*Une autre anecdote similaire mérite d’être rapportée, celle de l’observatoire astronomique d’Istanbul. Il avait été conçu sous le grand architecte royal Sinan pour l’astrologue royal Taqi al-Din. Ce dernier avait pu y observer avec précision une comète, qu’il avait interprétée comme un message divin de victoire à venir pour l’armée ottomane. Sur cette base, celle-ci avait lancé une offensive au nord des Balkans, lors de laquelle les Ottomans connurent une terrible défaite. Taqi al-Din tomba en disgrâce et le sultan Murad III ordonna la destruction de l’observatoire pierre par pierre seulement deux ans après son achèvement (autour de 1579), sur l’insistance de mouvements radicaux qui voyaient en la science un outrage commis à l’encontre du Tout-Puissant.

Les fouilles archéologiques menées au début du 20ème siècle ont permis de mettre au jour la partie inférieure du sextant.
Dans le musée de l’observatoire, des reconstitutions et des maquettes permettent de mieux se représenter le résultat final.

En parallèle, Ulugh Bek avait ordonné la construction de la première merveille de la place du Registan, une madrasa, lieu d’étude dédié aux sciences et aux arts. C’était l’université de l’époque, dont l’unique vocation était l’élévation de l’esprit et le perfectionnement des sciences, le tout dans un cadre architectural splendide, propice à la quête du beau. L’institution  réunissait parmi les meilleurs savants du monde connu. Ulugh Bek portait donc trois casquettes : sultan, savant et directeur scientifique. Il n’était pas seulement astronome et mathématicien, mais aussi poète, philosophe et historien, et incitait sans cesse son peuple à se cultiver. Voici le genre de souverain dont le nom mérite de traverser les siècles.

Représentation d’Ulugh Beg et d’autres scientifiques, artiste et date inconnus, vue dans le musée de l’observatoire à Samarcande.
Le pourtour de la madrasa est composée de petites chambres où étudiaient les élèves.

Samarcande, entremetteuse technologique

Bien sûr, Samarcande ne se limite pas aux attractions spectaculaires de son centre-ville. Un peu à l’extérieur de la cité, nous consacrons une visite à sa fabrique de papier, l’une des plus anciennes au monde et restée en activité jusqu’à aujourd’hui. Nous avions déjà évoqué son existence dans un autre article : le secret du papier avait été importé au Moyen-Orient après la bataille de Talas en 751, quand les Arabes avaient battu les troupes chinoises au sud du Kazakhstan et emporté des milliers de prisonniers avec eux. Cela leur avait en outre permis de mettre la main sur la recette de la poudre à canon et des vers à soie. La poudre à canon devait notamment servir aux Arabes à tenir tête aux Byzantins, qui restaient jusqu’alors en position de force grâce au feu grégeois. C’est donc après la bataille de Talas que l’utilisation du papier s’était répandue jusqu’en Europe. Celui de Samarcande, réalisé à base d’écorce de mûrier, était réputé pour son excellence : sa couleur sombre atténuait le contraste avec l’ancre, ce qui en facilitait la lecture, et il n’absorbait qu’une faible quantité d’encre, ce qui permettait de réaliser des économies conséquentes de ce coûteux liquide.

Chez le marchand de tapis

Misha nous emmène également dans la plus grande fabrique de tapis du pays, ouverte trois générations plus tôt par un commerçant Afghan. C’est aujourd’hui une immense fortune, qui exporte ses tapis dans le monde entier. Nous sommes reçus en grande pompe par son petit-fils, qui a pris le pli de la profession et maîtrise un parfait anglais de marchand de tapis pétri d’humour. Il nous montre les vers à soie et les grandes bassines dans lesquelles sont réalisées les teintures. Le pourpre est obtenu avec les cochenilles, les bleus avec l’indigo d’Afghanistan, le jaune avec la pelure de grenade, le rouge avec des racines de garance des teinturiers. Ces tapis, qui prennent entre plusieurs semaines et plusieurs années à être achevés, coûtent une fortune. Des garanties sont données, sauf s’ils sont destinées à être accrochés aux murs : dans ce cas-là, c’est un problème pour l’au-delà. Des gens richissimes viennent faire réaliser le portrait de leur chien ou de leur femme pour des sommes exorbitantes. Au mur du bureau sont affichées les photos de célébrités venues visiter la fabrique ; ça va de Vladimir Poutine à Hillary Clinton en passant par Kofi Annan. On frôle la catastrophe, on ne sait que trop bien combien il est facile pour ces habiles marchands de venir à bout de votre résistance et de vous faire ressortir de l’usine en tapis volant.

Shahrizabz, ou la nouvelle Kesh

Avant de partir vers le sud du pays, nous prenons encore une journée pour visiter le lieu dont était originaire Tamerlan, l’antique ville de Kesh. Nous traversons une campagne ouzbèke en pleine effervescence, où la période des récoltes bat son plein. Des noix, des pommes, du raisin, des prunes, du tabac aussi, qui constitue une importante ressource économique pour la région. Nous faisons un rapide arrêt sur le lieu de tournage d’Apachilar (Winnetou), un vieux western réalisé pendant la guerre froide dans un décor désertique. Puis nous franchissons les montagnes au sud de Samarcande, premiers contreforts du Pamir. Une fois passé le col, nous longeons la frontière tadjike avant d’arriver à Shahrizabz sous un soleil de plomb. Tous les monuments s’y trouvent concentrés dans un immense parc, où il est possible de se déplacer en petit train électrique ou en pédalo-vélo. Le monument le plus impressionnant, dominant une grande statue en bronze de Tamerlan, c’est la forteresse d’Ak Saray. Son portail d’entrée atteignait une hauteur de 70 mètres, il en reste encore une quarantaine. Le chantier, qui avait duré 25 ans, avait fait l’objet d’une description détaillée de la part de l’ambassadeur espagnol Ruy Gonzalez de Clavijo, passé sur le chantier en 1404 et ébloui par l’ampleur du projet. C’était le plus grand bâtiment de toute l’Asie centrale, à cette époque. Au retour, nous effectuons un dernier arrêt dans une petite ville frontalière située au pied des montagnes, à Ourgout, pour y visiter le sanctuaire de Chor-Chinor (les « Quatre Arbres » en persan). Nous y découvrons dans une ambiance crépusculaire une allée de sycomores millénaires aussi majestueux que les plus beaux minarets de Samarcande, certains d’entre eux atteignent plus de six mètres de diamètre. Au milieu de ces vieux troncs noueux serpente un ruisseau s’échappant d’une source sacrée, dont les vertus curatives sont renommées dans tout le pays. Une madrasa est aménagée à l’intérieur de l’un des troncs, véritable maison de fée consacrée à l’étude du divin.

Article précédent

Premiers pas en Ouzbékistan

Premiers pas en Ouzbékistan 12 septembre 2022 Après plus de six semaines d’aventures trépidantes au Kirghizistan, il est temps pour nous d’abandonner la nature brute,

Lire la suite »

Article suivant

Balade en Bactriane

Balade en Bactriane (Ouzbékistan) La route du Sud Tout au sud de l’Ouzbékistan se trouve une province moins courue des touristes, tant en raison de

Lire la suite »

Laisser un commentaire