
Vie rurale au Soudan
Voyage en campagne soudanaise Le Soudan que nous avons découvert au travers de campagnes archéologiques, c’est un Soudan rural, plein de poésie, pratiquement oublié par
« Kush », « Kerma », « Napata », « Méroé » ou encore « Makouria », voici des noms qui sembleront rarement familiers au grand public. Pourtant, ces royaumes de la haute vallée du Nil au Soudan ont marqué l’histoire du monde, chacun à sa manière. Au Vème siècle avant notre ère, l’historien et géographe grec Hérodote rapporte plusieurs anecdotes sur ce pays qu’il désigne sous le nom … d’Aithiopia ! En grec, cela veut littéralement dire le « pays des hommes à la face brûlée ». Ce même nom apparaît déjà sur les tablettes mycéniennes écrites en linéaire B, près de 1000 ans plus tôt, plus de 1400 ans avant l’ère chrétienne (ai-ti-yo-qo). Une signification qui ne diffère guère du nom actuel du Soudan, littéralement le « pays des Noirs » en arabe ! Au Moyen Âge, le nom d’« Éthiopie » n’a fait que migrer quelques milliers de kilomètres vers le sud avec la religion chrétienne, qui revendique une fois en Abyssinie ce nom mentionné dans l’Ancien Testament pour le prestige et la réputation de sagesse de ses habitants.
« Misérable Kush », c’est ainsi que les Égyptiens appelaient les habitants du premier royaume d’Afrique sub-saharienne. Il est aujourd’hui communément appelé « royaume de Kerma » d’après le nom de sa capitale, qui se situe juste au sud de la troisième cataracte en rive droite. Sa fondation remonte au milieu du troisième millénaire avant notre ère, son territoire s’étendait du sud de l’Egypte à Atbara, de la première à la cinquième cataracte sur le Nil. Ses terribles guerriers ont contribué à sa renommée. Archers hors pair, ils servaient tantôt de mercenaires dans l’armée égyptienne, tantôt ils en attaquaient les limes avec une violence redoutable. Si bien que les Égyptiens désignaient également leur royaume sous le nom de « Terre de l’Arc ». C’est par là que transitaient nombreuses richesses de l’Afrique sub-saharienne vers le monde méditerranéen : l’ébène, l’ivoire, les peaux d’animaux exotiques, et l’or qui était présent en grande quantité dans la région. Les souverains du royaume de Kush étaient inhumés dans des tombes sous tumulus, dont les plus grands vers la fin du royaume (1500 av. n. è.) atteignent plus de 100 mètres de diamètre. Parmi les nombreuses offrandes déposées avec les défunts (céramiques, éventails en plumes d’autruche, vases en albâtre importés d’Égypte, miroirs en bronze, pendentifs en nacre et en verre, arc et carquois), des bucranes (découpe de la partie frontale des crânes de bovidés qui comprend les cornes) étaient disposés autour des tombes les plus riches. Pour les phases les plus récentes, ce sont des milliers de bucranes qui étaient déposés. Ce rituel reflète la richesse de ce peuple en bétail, également mentionnée par les Égyptiens lors de leur conquête du royaume entre 1500 et 1450 avant notre ère : ils repartent avec un butin constitué de centaines de milliers de têtes.
Le royaume de Napata, c’est l’indépendance retrouvée de la Nubie vers 850 avant notre ère, après plus de cinq siècles de domination égyptienne. C’est également l’avènement de la XXVème dynastie, dite des « pharaons noirs ». Formidable retournement de situation, les rois Napatéens ont à leur tour conquis l’Égypte et régné sur cette dernière entre 713 et 656 avant notre ère. Après le retrait d’Égypte, leur règne se poursuit en Nubie jusqu’au début du IVème siècle avant notre ère. Les souverains Napatéens et Méroïtes ont été de fabuleux constructeurs de pyramides, plus de 1000 ans après que n’aient été érigées les dernières pyramides égyptiennes. Les plus célèbres se trouvent à Méroé, à Nouri et au Djebel Barkal.
La religion méroïtique représente un mélange de substrat local koushite et de religion égyptienne. C’est Amon qui occupe la place la plus prestigieuse du panthéon, associé au bélier et au soleil, dont l’origine mythologique est déjà du temps de l’occupation égyptienne identifiée en la montagne du Djebel Barkal, près de la quatrième cataracte (actuelle ville de Karima). Le royaume de Méroé est gouverné par des femmes à de nombreuses reprises ; ce sont les « Candaces », reines-mères. Elles sont citées dans le Nouveau Testament, apparaissent parfois armées dans l’iconographie et sont au besoin de féroces cheffes de guerre, qui inspiraient la terreur à l’armée romaine stationnée sur la frontière du sud de l’Égypte. Si bien qu’un des milliers de boulet de catapulte retrouvé dans le fort de Qasr Ibrim, conquis par les Romains au sud d’Assouan, portait une inscription en grec des plus comiques : « ça te suffit, Candace ? ». Pas si éloigné de l’espièglerie dont ont fait preuve les Alliés pendant la Seconde Guerre mondiale, qui laissaient des messages à la craie sur les obus du genre « prends ça Adolf » avant de les larguer sur les villes allemandes.
De tout temps, ces royaumes de Nubie n’ont cessé d’attirer les convoitises. D’abord celle des Égyptiens bien sûr, le pharaon Thoutmosis Ier étant le premier à lancer l’offensive. Puis, après la dynastie des Pharaons noirs, celle des Perses, et enfin des Romains. En effet, quand les Perses ont conquis l’Egypte vers l’an 525 avant notre ère, leur roi Cambyse II se fait couronner pharaon et lorgne sur le royaume de Napata. C’est ce que rapporte Hérodote dans son livre III : Cambyse a envoyé des espions à Méroé. Mais l’assaut est un échec, une grande partie des troupes succombe à la chaleur et au manque de ressources, l’armée se voit contrainte de rebrousser chemin. Cela n’a pas empêché les rois Perses de faire figurer les Napatéens parmi les peuples soumis sur les reliefs de Persépolis, par pure mégalomanie. Les Romains à leur tour, sous Auguste, sont partis en guerre contre le royaume méroïtique, avec lequel ils se disputent la même frontière que celle défendue 2500 ans plus tôt par le royaume de Kerma. Mais leurs légions n’ont pu descendre plus au sud que Napata, comme le raconte les historiens Strabon puis Dion Cassius trois siècles après les faits : l’armée ne peut poursuivre son assaut en raison de la chaleur, du sable et du manque de ressources. Véritables campagnes de Russie avant l’heure : tous se sont fait avoir à l’usure. Méroé reste intouchée, protégée par le général « Désert », homologue du général Hiver.
La langue parlée dans ces royaumes de Nubie demeure en grande partie mystérieuse. Une continuité linguistique existe très vraisemblablement du royaume de Kush à la fin du royaume méroïtique, soit du troisième millénaire avant notre ère au milieu du IVème siècle de notre ère. Ces royaumes ont développé une écriture propre, ils ont laissé derrière eux des milliers d’inscriptions de nature diverse, dont la transcription est aujourd’hui assurée. Mais en l’absence d’une pierre de rosette, la traduction de cette langue ancienne demeure laborieuse. Elle progresse néanmoins année après année grâce aux travaux de Claude Rilly, sorte de Champollion des temps modernes. Il apparaît que le méroïtique doit avoir une origine commune avec le nubien, dialecte parlé aujourd’hui en Nubie aux côtés de l’arabe. Certains mots sont passés dans la langue moderne, comme « ivoire », abore en langue méroïtique, qui signifie « éléphant ». Le terme a transité par le latin sous la forme d’ebur pour ne désigner plus que la défense du pachyderme, qui fait depuis l’âge du Bronze déjà l’objet d’un commerce important en Méditerranée comme en témoignent par exemple la célèbre épave d’Ulu Burun, coulée au large de la Turquie à la fin du XIVème siècle avant notre ère, ou les fragments de défenses d’éléphant découverts dans le palais minoen de Kato-Zakros en Crète, encore deux siècles plus tôt.
Le déclin du royaume de Méroé est dû à l’invasion de peuples nomades du désert, principalement les Blemmyes et les Noubades. Ce sont ces derniers qui ont donné leur nom à la Nubie, un mot à caractère péjoratif qui désigne précisément les « esclaves » en langue méroïtique. L’adoption de ce nom pour une nation entière augure avec beaucoup d’ironie la suite des événements, puisque la Nubie et le Soudan au sens large sont devenus l’une des plus grandes plaques tournantes de l’esclavage au monde. Elle mena la vie dure aux interdictions édictées par le condominium anglo-égyptien dès les années 1870, et même bien au-delà de l’abolition définitive de l’esclavage en 1927. Khartoum, fondée en 1821, était en premier lieu un marché d’esclaves.
Les royaumes chrétiens de Nobadia, Makouria et Alodia ont quant à eux succédé à la période trouble des invasions nomades. Ils ont bénéficié d’une belle longévité, puisqu’ils ont existé de 543 à 1500, et de fait résisté pendant plus de 7 siècles à la conquête arabe. L’identification à la chrétienté grecque est forte, si bien qu’un des rois de Makouria se fait appeler le « Nouveau Constantin ». C’est par ce biais, et en particulier par le royaume d’Alodia situé le plus au sud que le christianisme s’est diffusé en Éthiopie, qui doit donc aussi bien son nom que sa longue tradition chrétienne au Soudan d’une certaine manière. Enfin, au crédit de l’essor du christianisme au Soudan, l’un des trois rois mages venus rendre hommage à l’enfant Jésus pourrait bien venir … de Nubie ! Était-ce Balthazar, le mage noir ? Est-ce lui qui apporte l’or du désert?
Histoire et civilisations du Soudan de la préhistoire à nos jours. Éditions Soleb et Bleu autour, 2017.
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