Karmakol festival, un vent d’espoir

Premier festival international organisé au Soudan depuis des décennies, le Karmakol festival est né d’une collaboration entre le centre culturel du village de Karmakol, l’ONG Swiss Initiative Culture Projects et le réalisateur égyptien Ahmed Abdel Mohsen. Du premier au 21 décembre 2017 le festival a vu défiler des artistes de tout bord : musique, théâtre, cinéma, art et littérature. Le but : relayer les formes d’expression les plus diverses et promouvoir la diversité culturelle. Avec plus de 30 000 participants et un millier d’acteurs impliqués, le succès de l’événement a offert un beau signal de réouverture deux ans avant la chute du régime d’Omar el-Béchir, après de longues décennies d’isolation culturelle. Une nouvelle édition est prévue, déjà repoussée à plusieurs reprises en raison de la pandémie.

Le cadre où se déroulait le festival, très poétique, revêt également une grande importance symbolique : il s’agit des ruines du village qui a vu grandir Tayeb Salih, l’un des plus grands écrivains de langue arabe du 20e siècle. C’est le cliché du village soudanais des bords du Nil : petites maisons carrées en pisé à l’ombre des palmiers, vieilles portes en bois d’acacia, ruelles où seuls les ânes passent en tirant de lourdes charrettes. On y reconnaît également le lieu – dépeint de manière évasive – où se déroule une partie de son roman le plus célèbre, « Saison de la migration vers le nord ». Dévasté par les crues du Nil, le village a dû être déplacé il y a quelques décennies à l’écart du fleuve, en bordure du désert. Le festival a donc réinvesti le moindre recoin du village abandonné pour en faire des galeries d’art, des cabinets artisanaux ou des maisons de thé.

Une artiste suisse construit un bonhomme de neige en brique (rajul althalj) d’une hauteur de plus de 3 mètres, sans visage puisque les représentations figurées font l’objet d’un vaste débat dans le monde musulman.

Ce festival, c’est l’occasion de se souvenir de ce qu’était le Soudan avant la mise en place du régime conservateur de Béchir. Le parti communiste soudanais était l’un des plus influents du monde arabe et l’une des mouvances politiques les plus en vogue du pays dans les années 1950. Le général Nimeiry, à la tête du pays en 1969 après la fin de la tutelle coloniale britannique comptait pour sa part instaurer un régime socialiste. En parallèle, le soufisme bénéficie depuis longtemps d’une importance toute particulière dans la vie religieuse du pays. Cette pratique de l’islam profondément spirituelle et ésotérique, détachée des affaires politiques et dont l’amour universel constitue l’un des sujets centraux, est indissociable de la poésie, de la musique et de la danse, qui constituent selon son dogme des moyens de se rapprocher du divin.
En bref cette mouvance est bien éloignée d’autres idéologies plus radicales de l’islam, dont elle a d’ailleurs souvent fait les frais, hier comme aujourd’hui. Peut-être tout cela explique-t-il en partie pourquoi des mouvements musicaux comme le blues, le soul, le jazz et le funk ont connu un tel succès à Khartoum entre les années 1960 et la montée au pouvoir du régime d’Omar El-Béchir en 1989. On peine à imaginer, en déambulant aujourd’hui dans les rues chaotiques de la capitale, les clubs et les bars regorgeant de vie où se déroulaient les concerts. C’est toute une génération d’artistes, des femmes comme des hommes, qui a délivré au monde entier un original et savoureux mélange de musiques traditionnelles teintées d’influences étrangères : Mohammed Wardi, Al Balabil, ou encore Sharhabeel Ahmed. Nombre de leurs musiques animent les longues journées de chantier sur les téléphones de nos collègues soudanais, qui fredonnent des frimas de l’aurore au chaud soleil de midi.

La grande scène
Dans les ruines du village de Karmakol.
La route sur la rive droite du Nil, au niveau de la troisième cataracte. De nombreuses pistent essaiment de la voie principale.

Comme souvent au Soudan quand l’on recherche un lieu, trouver le festival n’est pas une mince affaire. Une seule route goudronnée longe le Nil de près ou de loin sur chaque rive jusqu’en Egypte, point de panneau pour indiquer les sorties et les noms des villages. Pour s’y retrouver , il faut se référer aux bornes kilométriques partant de Khartoum. Quand on arrive environ au bon niveau, il faut quitter la route et s’engager sur des pistes un peu au hasard, demander son chemin un nombre incalculable de fois. Les GPS ne servent à rien, puisqu’il n’y a ni nom de rues, ni numéros. Et surtout, il faut arriver avant que la nuit ne tombe, car circuler de nuit, c’est vraiment dangereux, des animaux et des charrettes encombrant souvent la route. Tout-à-fait caractéristique des mésaventures au Soudan.

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