
De l’Albanie au Kosovo, partie 1
Aux pays de l’aigle bicéphale L’Albanie et le Kosovo, nouvelles étapes de notre périple, nous ont enfin permis de sortir des sentiers battus. Elles auront
Pour rejoindre le Kosovo, nous décidons de traverser les montagnes en prenant le ferry qui part du haut du barrage de Koman jusqu’à Fiërze. Alors que la vallée s’éveille doucement dans la quiétude matinale, une fois franchi le tunnel menant au départ du ferry, c’est une foule tonitruante de vacanciers-ères qui nous attend pour s’entasser sur de petits bateaux. Nous cheminons pendant trois heures au cœur de falaises qui titubent sous leur manteau verdoyant et s’affaissent dans une eau glaciale aux reflets d’émeraude. Les bénéfices du barrage, en plus d’être énergétiques, sont sociaux et économiques : son lac offre une voie rapide d’un versant à l’autre des Alpes albanaises, qui n’aurait pu être obtenue qu’au prix d’efforts bien supérieurs et moins rentables pour tracer une route carrossable. Une fois arrivés à Fiërze, tous les touristes s’en vont à Valbonia, paradis de la randonnée. Nous sommes les seuls à bifurquer vers le Kosovo, dont notre chauffeur de taxi albanais n’a de cesse de vanter les mérites (« euro better, economy better, roads better »). Après un arrêt au Banana King, qui vend les meilleures bananes de toute la ville de Gjakova selon notre comique de chauffeur, il nous laisse à la gare où nous sautons dans un bus pour Prizren.
Comment résister au charme de cette petite ville kosovare où respire l’Histoire ? Les silhouettes délicates de minarets se dessinent entre les centaines de câbles électriques tirés dans une logique insaisissable au commun des mortels. Les mosquées côtoient de vieilles églises orthodoxes et catholiques. Des arbres qui n’ont pas été taillés depuis Mathusalem brossent les façades de vieilles bâtisses décrépies et offrent un ombrage bienvenu aux baladeur-ses. La mosquée principale, Ismet Pacha, confère à elle seule le charme ancien de la bourgade ottomane. Alors que nous dégustons des bières locales sur une terrasse, pensant avoir mis un point final aux notes de cette journée, un homme d’un certain âge assis à la table d’à côté nous porte un toast et en profite pour entamer la discussion. D’abord fier de nous parler de sa passion pour la viticulture, il change de sujet pour nous apprendre qu’il a fait un doctorat en archéologie à l’Université de Vienne et qu’il est aujourd’hui l’archéologue responsable du district de Prizren. Il fallait quand même le faire, s’assoir à côté de Shafi Gashi, le grand archéologue kosovar ! Ni une ni deux, nous embarquons des bières et partons sous bonne escorte à la découverte du château de la ville, où il a dirigé les fouilles pendant une dizaine d’année.
Nous buvons ses explications dans la pénombre, les échos envoûtants de l’appel à la prière montant à nous depuis la vallée en contrebas. Pendant ce temps, ses deux assistantes nous préparent la bibliographie (presque) complète de l’archéologie albano-kosovare, une pile de livres monumentale. Sacrée gageure de les faire entrer dans nos bagages de tour-du-mondistes ! Heureusement, et nous comptions dessus, nous devions nous rendre le lendemain dans le village de Kaçanik où nous attendait notre ami et collègue Flamur, qui a eu l’amabilité de stocker notre butin dans sa bibliothèque.
Le souvenir de la guerre contre la Serbie à la fin des années 1990 est vivace au Kosovo. Dans les villes comme dans les villages, les statues des héros tombés au combat ornent la moindre petite place. À Kaçanik, un martyr a donné son nom à la rue dans laquelle nous sommes logés. C’était un professeur, un brillant intellectuel qui avait continué d’enseigner dans l’illégalité en dépit des interdictions imposées par la Serbie aux minorités albanophones. Il a été supprimé sans autre forme de procès par l’armée yougoslave pour avoir pensé et agi trop librement. Contre l’oppression serbe, le Kosovo a fait front de manière unie, chrétiens et musulmans, dans cette alchimie qui semble être le propre de l’Albanie et des régions albanophones (sud du Monténégro, Kosovo, Macédoine). On nous raconte comment les intégristes religieux sont mal considérés au Kosovo et comment, un jour, la police avait fait une descente dans la village pour raser toutes les barbes, afin de calmer les ardeurs des plus virulents. Kaçanik, comme la ville de Gjakova où nous étions le jour précédent, sont des lieux se relèvent de leurs cendres : ce n’étaient plus que des champs de ruines à l’issue de la guerre, il y a une vingtaine d’années. Suite à ces événements tragiques, la modernisation du pays a été effectuée à une vitesse fulgurante. Routes goudronnées, nouveaux bâtiments et infrastructures, diffusion des téléphones portables et constructions d’autoroutes menées sans délai (le Valais ferait bien d’en prendre de la graine). Alors que nous bavardons avec la famille de notre ami dans la fraicheur du soir, la vie nocturne bat son plein dans le village en contre-bas. Pendant les périodes de vacances, la population décuple, toute la diaspora revient et transforme la quiétude villageoise en festival. Voilà pourquoi apparaissent des dizaines de plaques minéralogiques immatriculées en Suisse et en Allemagne dans un petit village kosovar.
C’est sur l’ancienne route qui zigzague entre les soutènements monumentaux des viaducs de l’autoroute fraichement vernie reliant le Kosovo à la Macédoine que notre chauffeur nous conduit vers Skopje tôt le lendemain, où un bus doit nous permettre de rejoindre Thessalonique, capitale historique de la Macédoine. Ce qui a fait la fortune de Kaçanik depuis des temps immémoriaux, c’est justement sa localisation au débouché des gorges menant aux plaines fertiles de la Macédoine, à Skopje.
Aux pays de l’aigle bicéphale L’Albanie et le Kosovo, nouvelles étapes de notre périple, nous ont enfin permis de sortir des sentiers battus. Elles auront