Pèlerinage Chibcha, aux origines du mythe de l’El Dorado

5 juillet 2017 à Villa de Leyva, charmante colonie espagnole fondée en 1572 et perchée dans les Andes à 2150 mètres d’altitude. On se balade à la recherche d’un petit-déjeuner avec mon pote Christianito quand, passant devant l’office du tourisme, l’image d’une réserve naturelle retient notre attention : Iguaque. Demandant des renseignements, on apprend que la dernière  entrée dans le parc est à 10h et qu’il faut au moins 45 minutes de voiture pour arriver à l’entrée. On rentre en courant à l’auberge chercher nos affaires, puis on s’engage sur la route à tombeau ouvert. La route goudronnée cède rapidement la place à une piste défoncée par les camions. Pas facile avec une petite voiture urbaine taillée pour la circulation de Bogotá.

On arrive deux minutes avant la fermeture, sans savoir qu’on s’engage sur la première étape d’un pèlerinage qui nous mènera sur les lieux les plus sacrés de l’ethnie Chibcha. L’ascension commence dans une forêt épaisse et humide, peu à peu remplacée par le páramo, cette végétation tropicale d’altitude endémique du nord des Andes. La lagune sacrée apparaît à 3800 mètres d’altitude, nimbée de brouillard. Ambiance mystérieuse sur le lieu de l’origine de l’humanité dans la cosmologie chibcha : c’est ici que la déesse-mère Bachué serait apparue avec son bébé, le premier humain, puis où ils seraient retournés pour l’éternité sous la forme de serpents, une fois la terre peuplée de leur descendance.

Les Chibchas, aussi appelés Muiscas, forment une ethnie précolombienne dans laquelle le pouvoir se transmettait de manière matrilinéaire. Ils peuplaient (et peuplent encore) les régions de Boyacá et de Cundinamarca. Cette partie des Andes est richement pourvue en gisements aurifères et les objets en or étaient couramment utilisés comme offrande lors de leurs rituels. Trois endroits étaient d’une importance particulière pour leur accomplissement: les lagunes sacrées d’Iguaque, de Guatavita et de Siecha. La seconde a joué un rôle certain dans la naissance du mythe de l’El Dorado. L’or était tellement commun que ces populations lui accordaient beaucoup moins de valeur que les avides conquistadors. Il suffit de visiter le magnifique Museo del Oro à Bogotá pour se rendre compte de l’ampleur du phénomène. Même une banque suisse ne recèle pas autant d’or, et il s’agit uniquement d’art précolombien.  

Le páramo à Iguaque, essentiellement composé de frailejones comme ici au milieu de l’image
Quelque part entre Villa de Leyva et Iguaque

Nous décidons donc de poursuivre ce pèlerinage sur les traces des fascinants mythes Chibchas en nous rendant à Guatavita, où nous avons la chance de visiter le site avec une guide d’ethnie chibcha. La lagune se trouve au sommet d’une montagne, elle est uniquement alimentée par l’eau de pluie. C’est ici qu’étaient élus les nouveaux chefs, les caciques. L’héritier, entièrement nu, était enduit de paillettes d’or de la tête aux pieds, incarnation vivante du fils du soleil. Le voici, l’El Dorado, debout sur un radeau de joncs qui flotte lentement sur la lagune drapée de brume, entouré des offrandes pour lesquelles les conquistadors étaient prêts à vendre leur âme. Arrivé au centre de la lagune, il jette révérencieusement l’or et les émeraudes dans cette eau trouble aux reflets de jade afin de gagner la faveur des dieux. Rassemblée tout autour du lac, une foule en liesse envoie elle aussi ses offrandes par le fond.

Guatavita, la brèche apparaît à gauche de la lagune

Quand les expéditions menées par les conquistadors à la recherche de ce fameux El Dorado finissent par converger vers la lagune de Guatavita, ceux-ci entreprennent de creuser un canal en 1580 pour en vider l’eau et pouvoir s’emparer de ses richesses. Après avoir réussi à faire baisser le niveau du lac d’une vingtaine de mètres, la brèche s’effondre et les travaux s’arrêtent. Plusieurs tentatives se sont ensuite succédé au fil des siècles, la plus brillante ayant consisté à dynamiter le flanc de la montagne, sans grand succès. Bien plus tard, les archéologues ont tenté de plonger dans le lac mais les eaux si opaques, la présence d’algues remontant presque jusqu’à la surface et l’altitude (3000 m !) ont rendu vaines toutes ces explorations. Aujourd’hui, le lac est protégé par le gouvernement colombien.  

Les lagunes de Siecha

Notre pèlerinage prend fin à la lagune de Siecha, dans le parc naturel de Chingaza, où les divinités chibchas semblent avoir été décidées à nous faire rebrousser chemin, abattant sur nos têtes la tourmente. Nous parvenons malgré tout à la lagune sous une pluie battante, nous cramponnant à la végétation pour résister au vent. En langage muisca, « Siecha » signifie la « maison du Seigneur ». On a connu plus accueillant ! Ici avaient vraisemblablement lieu des rituels en lien avec l’agriculture et la vie quotidienne, il y a cinq siècles à peine.

Fragile témoin de ce passé légendaire, une représentation miniature en or de la barque illustrant le rituel a été découverte en 1969 dans une grotte située au sud de Bogotá, au fond d’un vase en céramique figurant une tête humaine. C’est aujourd’hui l’une des pièces maîtresses de la collection du Museo del Oro. Il s’agit en fait de la seconde découverte de ce type, puisqu’un premier radeau en or avait été découvert dans la lagune de Siecha en 1855, malheureusement disparu dans un incendie au port de Brême alors qu’il se trouvait dans l’entrepôt d’un collectionneur.

Source : Museo del Oro, Colombia, 2008.

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