Alamut, la forteresse des Assassins

Au cœur des hautes montagnes de l’Elbrouz, au sommet d’un piton abrupte, veillent les ruines du château du « Vieux de la Montagne », Hassan-i Sabbāh. Au XIe siècle, ce nom faisait résonner la terreur aux quatre coins des terres d’Islam aussi bien que chez les Croisés. Il était indissociable de celui des « assassins », ses disciples qui, fanatisés, complètement drogués et un pied déjà au paradis, étaient passés maîtres dans l’art d’ôter la vie. Du Caire à Ispahan, de Bagdad à Constantinople, les têtes des souverains, des chefs de guerre et des chefs religieux roulaient les unes après les autres. Cette secte dite « nizarîte » est née de l’ismaélisme, l’une des branches du chiisme. Elle prônait un retour aux sources de l’Islam et son grand combat, véritable guerre sainte, était livré contre les sultans Seldjoukides qui régnaient alors entre la Perse et le Proche-Orient. Seules les hordes de guerriers mongols plus sanguinaires encore, déferlant sur la Perse près de deux siècles après, parvinrent sur ordre d’Houlagou Khan à raser Alamut (« le nid d’aigle ») et à mettre un terme aux agissements de la secte en 1256. Hassan Sabbah n’avait pourtant pas toujours été le « Vieux de la Montagne ». Dans sa jeunesse il était un ami proche du poète Omar Khayyam, que l’érudition, la poésie et les arts unissaient. Comment un tel fossé a-t-il pu se creuser, menant d’une part à l’ordre des assassins et leur retraite religieuse au fond de froides montagnes et de l’autre aux sensuels rubaiyats chantant l’amour du vin du célèbre poète ?

L'histoire se répète

L’écho de cette histoire, qui a traversé les siècles et jouit aujourd’hui d’une grande popularité, retentit étrangement dans l’histoire moderne de l’Iran. Il serait séduisant d’établir quelques parallèles entre la vie d’Hassan Sabbah et celle de l’ayatollah Khomeini, qui renversant le Shah d’Iran au moyen de la Révolution Islamique prit le pouvoir en 1979 et instaura le nouveau régime ultra-conservateur de la République islamique d’Iran. Dans leur érudition, leur idéalisme, contraire aux régimes dominants, puis leur exile forcé, au péril de leur vie, et enfin dans leur retour sanguinaire à la tête de masses fanatiques, faisant trembler tout l’ordre établi et dont les retombées se feront ressentir bien au-delà des frontières de leur royaume respectif. Ne reste plus qu’à espérer qu’aujourd’hui, la cavalerie mongole montera de l’intérieur du pays et saura le mener vers des jours meilleurs.

Ancienne ambassade des États-Unis, Téhéran

Atteindre le nid d'aigle

Lever de soleil sur la forteresse, perchée au sommet de la falaise
Ghazor Khan

Pour monter à Gazor Khan, village lové à 2000 mètres d’altitude au pied du château menaçant, point de dromadaire ni de cheval. Il faut prendre un taxi de Qazvin, (capitale de l’empire safavide au XVIe siècle située environ 150 km au nord-ouest de Téhéran), dont nous finissons par fixer le prix après une heure d’âpres négociations. Le taxi s’envole à la vitesse de la lumière sur de petites routes de montagne tortueuses et défoncées. Pendant deux longues heures ce ne sont pas seulement les paysages qui défilent devant nos yeux, mais aussi nos vies. L’emprise du Vieux de la Montagne perdure, il faut une foi inébranlable en l’au-delà pour conduire de la sorte. En ce qui me concerne, j’aurais aussi bien pu arriver au paradis qu’à Alamut sans me rendre compte de rien. 

Panne de taxi au retour de Ghazor Khan
L'heure du thé c'est sacré, même en stop.

ḥašašyīn

Ce terme utilisé pour désigner les disciples du Vieux de la Montagne est parvenu dans le langage moderne sous la forme d’ « assassin ». Plusieurs hypothèses sont avancées pour en expliquer la signification. La plus populaire, qui n’est pourtant pas la plus plausible, se rapporte à la grande consommation de haschisch chez les disciples de la secte, qui les aurait aidé à passer à l’acte lors d’opérations la plupart du temps sans retour. On les aurait donc appelé dès l’origine les haschaschins en arabe. Une autre interprétation possible de la formule ḥašašyīn serait «  ceux qui sont fidèles au fondement de la loi (de l’islam) ». Enfin, une troisième interprétation possible est basée sur le nom de Hassan Sabbah : « Hassan djinn ». Les assassins seraient alors les djinns (mauvais esprits dans le monde musulman) qu’envoyait le Maître pour terroriser ses ennemis. 

La grande place d'Ispahan, la "Moitié du Monde" comme il était coutume de l'appeler. La secte des Assassins a sévi à plusieurs reprises dans cette ville.

Pour de plus amples et agréables lectures

Freidoune Sahebjam, « Le Vieux de la Montagne », 1995.

Amin Maalouf, « Samarcande », 1988.

Vladimir Bartol, « Alamut », 1938.

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