Sur les traces des Aït Atta, première partie

Maroc, janvier 2019. Entre l’Atlas et le Sahara vit encore une fière confédération berbère, dernière héritière d’un mode de vie semi-nomade plurimillénaire sur le point de disparaître du Maghreb : les Aït Atta. Leur berceau se trouve dans le Djebel Saghro, dans l’Anti-Atlas oriental. Ils sont unis par un ancêtre commun ayant vécu au XVIème siècle, Dadda Atta, le Grand-Père Atta, et se répartissent aujourd’hui en cinq tribus principales regroupant plus de 100 000 personnes. Leur réputation de bravoure les précède et leur attachement à la liberté et à leurs traditions en fit les derniers résistants face à l’occupation française en 1933, dont ils décimèrent les troupes lors la bataille de Bougafer dans le Saghro. Le Djebel Saghro, ou Adrar Saghro en berbère, signifie « la montagne de la sècheresse ». Comme son nom l’évoque, il s’agit d’un massif très désertique situé entre le pied sud de l’Atlas et les portes du Sahara. Très peu peuplé, il s’agit de l’une des étapes de la transhumance pour les troupeaux de chèvres et de moutons des Aït Atta, avant qu’ils ne grimpent dans le Haut-Atlas pour la belle saison quand la neige a fondu, où les bergers vivent sous tente. Ils y changent alors de pâture tous les 30 à 60 jours. L’opportunité de découvrir ne serait-ce qu’un éclat de ce mode de vie traditionnel, ça ne se refuse pas, surtout pour les archéologues que nous sommes. C’est donc à travers le massif du Djebel Saghro que nous a mené notre premier trek au Maroc.

De Marrakech à Tagdilt

Autour de Marrakech, le code de la route est défini par les humeurs, ponctué d’ânes et de nids de poule. Nous laissons derrière les pinèdes méditerranéennes, réserve de chasse du roi du Maroc, pour des terres plus austères. La route du col de Tich’ka (2260 m d’altitude) sinue entre de hauts plateaux où paissent les troupeaux, entre cascades et sommets enneigés. Elle est en travaux permanents ; c’est l’œuvre du frère du roi qui, un peu à l’image de Pénélope et son métier à tisser, retarde l’avancée des travaux pour gagner plus d’argent. Sur le versant sud, les grands à-pics cèdent la place à d’interminables plateaux enchâssés les uns sur les autres. Les coopératives de veuves qui vendent l’huile d’argan cèdent la place aux productions d’eau de rose. Les plantations se trouvent au pied sud du massif du M’Goun, vaste plateau aride d’une altitude de 1500 mètres et traversé par la verte vallée du Dadès. Notre guide Mohamed est originaire d’un village caché dans l’ombre du M’Goun, l’un des plus hauts sommets de l’Atlas. Nous rejoignons notre cuisinier Idir et les muletiers M’han et Abdelajiz au souk de Boumalne Dadès. L’entrée de ce dernier est très originale : il s’agit d’un trou béant creusé au milieu d’un interminable mur en brique. D’un côté le village, de l’autre le souk et le désert.
Aui pied de l'Atlas, en direction de Ouarzazate
Paysage de l'Atlas en redescendant du Tich'ka
Le souk de Boumalne Dadès

À travers le Djebel Saghro

Nous quittons la route goudronnée pour gagner le hameau de Tagadilt où commence notre périple. Tagadilt est une petite oasis cachée au milieu de collines malmenées par des millénaires de chaleur et de sécheresse. La nuit, la température descend au-dessous de zéro degré. Réveil au chant du muezzin, nous buvons un thé dans une vaine tentative de repousser les piquants assauts de la froidure, puis nous partons au lever du soleil franchir les premiers remparts du Saghro. Notre cuisinier Idir s’en va précipitamment rejoindre une petite masure qui se dresse solitaire au milieu de la poussière au pied des montagnes. C’est là qu’il vit, et il nous ramène de son jardin de la menthe et de la sauge pour agrémenter le thé. Premier bivouac dans des cabanes saisonnières des Aït Atta, au pied du Kouaouch, plus haut sommet du Saghro. La température chute rapidement et nous nous réunissons avec nos amis berbères autour d’un feu de genévrier, seul arbuste parvenant à pousser dans des conditions aussi extrêmes, qui dégage une agréable odeur à la combustion. Alors que les abris dans lesquels nous dormons sont quadrangulaires, la cuisine est la seule cabane de forme circulaire. Sa toiture est soutenue par deux gros troncs de genévrier noircis par la fumée. Les muletiers dorment à la belle étoile sous une simple bâche, sur le fourrage des mules, malgré les températures négatives. Ils ont une résistance à toute épreuve.

Pause thé avec vue sur le sommet du Kouaouch
Nous atteignons le sommet du Kouaouch le second jour (2712 mètres d’altitude), d’où nous nous laissons redescendre sur les plateaux désertiques du Saghro. Au milieu des rochers apparaît un espace plat, rectangulaire et déblayé de ses cailloux : un terrain de football mis en place par des enfants Aït Atta. Deux pierres posées verticalement à chaque extrémité du terrain font office de but. Au sud des premiers remparts du Saghro, la géologie s’emballe, délire, donne dans le psychédélique : pitons de basalte, grands canyons, oueds verdoyants, roches de toutes les couleurs, paysage lunaire. Soudain, la croute terrestre ressemble à une grande peau de dinosaure. Elle est composée de millions de bulbes révélant des trésors de quartz une fois ouverts. Vu d’en bas, le massif ressemble à une coulée de lave titanesque, au pied de laquelle s’étend une petite oasis couverte d’amandiers en fleur. Des tours rocheuses aux formes amusantes dominent la plaine : tantôt un sphynx, tantôt un éléphant. Le Saghro : cathédrale de pierre sculptée par les mains expertes du temps vouant un culte immémorial à l’espace.
Igli, un hameau à 1700 mètres d'altitude
Vallée d'Afourar

Au milieu de ce désert de roche, des gorges sinuent, coiffées de falaises. Au fond, la vie ! Tout est vert, le terrain est organisé en terrasses cultivées, les oiseaux piaillent, une poignée d’humains travaille aux champs. Puis les gorges se resserrent jusqu’à ne laisser passer plus qu’un filet d’eau. On est expulsé de cette matrice minérale devant le Baab n’Ali, la « porte d’Ali », deux majestueuses tours rocheuses dominant le paysage. Ce soir-là on monte la tente berbère, grand lampion luisant dans la nuit et faisant concurrence à l’éclat des étoiles. Puis on rejoint progressivement la civilisation : les jardins et les palmeraies sont de plus en plus nombreux au fond des oueds qui lacèrent ce grand plateau magmatique. Le trek prend fin dans le paradisiaque village de Handour. Sur le château d’eau à l’entrée du village flotte le drapeau berbère, qui figure l’homme libre, les pieds ancrés dans la terre et les bras levés vers le ciel. Les couleurs bleu, vert et jaune représentent l’océan, couleur du turban porté par les Berbères, l’Atlas et le Sahara. Le village a été électrifié très récemment, aucune route goudronnée ne permet d’y accéder. Nos muletiers s’en retournent au village du départ, abattant la totalité du trajet en deux jours seulement avec des chaussures défoncées. Quant à nous, nous regagnons le nord du pays par la vallée du Draa. Cette vallée, c’est la seconde étape de notre itinéraire sur les traces des Aït Atta, de l’Anti-Atlas aux portes du Sahara.

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